Ce qui est arrivé,
dans les ambassades américaines et européennes, à cause d’un très mauvais film,
qui de surcroit s’avère inexistant, est troublant et intolérable. A Tunis, il
paraît que cela aurait pu être pire si le Président Marzouki n’avait pas envoyé
sa garde en renforts. Et ce lundi, l’ambassadeur américain Jacob Walles
rappelait au ministre tunisien des affaires étrangères, Rafik Abdessalem, le
devoir des pays hôtes d’assurer la sécurité des missions diplomatiques, tel que
le stipule la Convention de Vienne. Ce devoir ne fut pas honoré le 14 septembre
dernier, et ce n’est pas le seul. Au-delà du politiquement incorrect, quel sens
donner à ces graves défaillances sécuritaires qui se multiplient dans des pays
où une fragile transition tente de prendre place ? Quelques réflexions ici
et là nous semblent devoir être prises en compte pour essayer de comprendre ce qui
est entrain de changer dans les mentalités, et suivant dans les rapports de
forces.
La première réflexion
consiste à déceler le paradoxe qu’il y a à autoriser, au nom de l’islam,
l’expression violente des points de vue, tandis que d’un autre côté, au nom de
ce même islam, la liberté d’expression et de création est interdite. En cela,
les islamistes s’accordent parfaitement avec les dictatures
« laïques » du monde arabe, en l’occurrence celle de Syrie, où de
terribles massacres continuent à ne pas inquiéter les preux défenseurs de
l’islam. C’est ce que constate Subhi Hadidi, dans sa dernière colonne d’Al-Quds
Al-Arabi : « L’islam et la plus grande offense ». Autre
paradoxe, reniant les lois civiles, les islamistes revendiquent en revanche une
loi qui incrimine l’atteinte au sacré. Cheikh Rached Ghannouchi proposait, lui,
tout récemment, que les Nations Unies promulguent une telle loi. Et Subhi Hadid
de relever que les communautés musulmanes sont éparpillées, fragmentées et
incapables de constituer des groupes de pression pour que l’occident promulgue
une loi qui protège les sentiments des musulmans.
La seconde est
émise par des jeunes sur les réseaux sociaux qui voient dans les terribles
images du meurtre de l’ambassadeur américain à Benghazi, la contrepartie des
horreurs commises à Abou Ghrib,
Guantanamo, en Irak, en Afghanistan… et dont les images sont venues redoubler
et exacerber les politiques du mépris déjà exercées à l’intérieur par les
dictatures du monde arabe.
La plus grande
offense
Face au retour
violent du sacré communautaire, l’intégrité des individus fait peu de cas dans
l’ancien nouveau marché des totalitarismes, qui n’exclut ni le machisme ni la
torture. Des jeunes violées et torturés à mort dans des postes de police, une
jeune fille violée par des policiers, mais « trouvé dans une posture
immorale avec son copain », justifie-t-on, la liste s’allonge de
révolutions en contre-révolutions. Dans une lettre ouverte adressée le 14
septembre dernier au porte-parole du ministère de l’intérieur, l’association
« Manifeste du 20 mars » dénonce « violences, humiliations,
tortures et viols, passés et présents » et « exige des
enquêtes »!
« Serait-ce la logique de la
razzia, monsieur ? Celle qui ne respecte pas les « bonnes mœurs » de la tribu
en deviendrait un butin à la disposition des hommes ?... De quelle morale et de
quelle décence nous parlez-vous ? Celles des agressions, arrestations, tortures
et humiliations subies par les protestataires, par les marginalisé(e)s de cette
terre ??! … Nous ne cesserons de réclamer l’enquête sur les dépassements subis
par les hommes et les femmes, toutes les violences, humiliations, tortures,
viols commis en toute impunité, et dont les auteurs continuent à ce jour à
menacer la sécurité des citoyens et des citoyennes et leur intégrité physique
et morale », écrivent les animateurs de l’association.
Continuer donc
à dénoncer la violence et sa banalisation, en se rappelant qu’une certaine
Hannah Arendt qualifiait les mouvements totalitaires de « sociétés secrètes au
grand jour » et définissait le totalitarisme, avant tout, comme un mouvement,
une dynamique de destruction de la réalité et des structures sociales, plus
qu’un régime fixe. Ce mouvement est « international dans son organisation,
universel dans sa visée idéologique, planétaire dans ses aspirations politiques
». Car les livres, certains livres, servent fort heureusement à nous dire que
l’ignorance sera toujours contre l’humain.
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