lundi 20 avril 2009

Itinéraires du savoir, du parchemin à la bibliothèque


«Car j’affirme que la bibliothèque est interminable»
J.L. Borges


Le manuscrit occupe une place centrale dans la civilisation musulmane, car la diffusion de sa culture allait être déterminée par le règne de l’écrit, à l'intérieur d'un espace considérable qui devait s'étendre avec l’expansion musulmane jusqu’à l’Indus. Dès le VIIIe siècle, les Arabes apprennent des Chinois la fabrication du papier avant de la transmettre à l’Europe. A l’origine, c’est le parchemin qui sert de support à l’écrit puisque le papier fait son entrée à partir du XIème s. Témoin exemplaire d'un ensemble de pratiques et de techniques culturelles, le manuscrit fait rejaillir le prestige de l’écrit sur le scribe. A ses débuts, l’écriture arabe était soit incurvée ou arrondie, soit allongée et droite. Ce fut le génie d’Abou Ali Ibn Moqlah, vizir sous les Abbasides, qui permit d’instaurer un système global de règles calligraphiques fondées sur le point en losange comme unité de mesure. Au Maghreb, des calligraphies spécifiques furent développées. C’est ainsi que le Coufique occidental se développa vers 670 à Kairouan. De ce Coufique, naquit Au Xe siècle le Maghribi, une écriture cursive fine et délicate, propre au Maghreb et à l’Espagne musulmane. Seule écriture utilisée duraOn a pu distinguer quatre styles de Maghribi : le Qayrawani, l’Andalousi, le Fasi et le Soudani, graphies qui tracent les lignes de fuite du savoir et de son histoire migrante.
Si l’art du livre est intimement lié à l’essor de la calligraphie, c’est que celle-ci s’est imposée comme la forme d’art plastique essentielle à l’exaltation de la parole sacrée et de l’esprit de la lettre. Plusieurs copistes se font connaître en Tunisie où des familles Kairouanaises de calligraphes sont devenues célèbres : Hachaichi, Antari incluant même des femmes depuis la fin du IXème siècle. La reliure est aussi l’un des aspects importants de l’art du livre et de sa conservation. Les reliures anciennes ont des ais de bois qui, au XIIème siècle, deviennent moins épais : cartonnés, feuilles collées ou cuir. Au XIIIème siècle, cet art rejoint les reliures almohades réalisées au Maroc à la même époque. Puis, Au milieu du XVIIIème siècle, des relieurs venus de Turquie, sur l’invitation d’Ali Pacha, exercent leur art à Tunis, avec une préférence pour le motif de la mandorle polylobée à décor végétal et le jeu sur les couleurs ou la dorure.

Tardivement supplanté par le livre imprimé, le manuscrit règne en maître jusqu’au XVIIIe siècle, alimentant d’impressionnantes bibliothèques nomades. Les savants du Moyen Age musulman ont ainsi balisé la route du savoir au gré des migrations et des échanges entre cultures et civilisations. « Les Arabes, affirme A. de Humboldt, étaient admirablement disposés pour jouer le rôle de médiateurs. » Aux marges de l’empire perse et byzantin, un corpus de connaissances d’origine grecque enrichi de l’apport des penseurs du monde arabo-musulman, va en effet se déplacer en Orient, puis au Maghreb, en Italie, ensuite dans toute l’Europe. De Bagdad à Cordoue, en passant par Damas, Alexandrie, Le Caire, Kairouan, Fez et Salerno, des communautés de lettrés chrétiens, juifs et musulmans constituèrent des trésors de Philosophie, de mathématiques, de droit, de médecine, d’astronomie et de grammaire qui allaient préparer la Renaissance européenne.
Car qu’elle soit arabe ou grecque, la science ne faisait pas référence à une origine géographique ou religieuse, mais à un contexte interculturel dans lequel a éclot une pensée lumineuse dont la langue de communication scientifique était l’arabe. Le « Siècle des Arabes » avait déjà exprimé son génie littéraire à travers la poésie, la prose et les récits héroïques. A ce siècle de l’oralité allait succéder celui de l’écrit avec l’extraordinaire bouillonnement intellectuel dont l’étincelle partit de Bagdad. « Non seulement, dit M. Sédillot, l’école de Bagdad a contribué au réveil de l’Europe en comblant l’intervalle qui sépare les Grecs d’Alexandrie des modernes, mais c’est elle qui a porté la lumière dans l’Asie toute entière. »
Aux confluences de ces civilisations d’Occident et d’Orient, la Tunisie andalouse héritera de ces flux incessants venus se déposer à Cordoue, troisième grande bibliothèque du monde islamique. On estime l’héritage de la bibliothèque de Cordoue à quelques 600.000 ouvrages, parmi lesquels un nombre considérable de manuscrits arabes et grecs. A partir de Bagdad allaient également fleurir de nombreuses Ecoles et figures scientifiques dont on retiendra celles d’Ibn Usaybi’a, grand historien des sciences et de la Médecine au Maghreb, ainsi qu’ Is-Haq Ibn Imran Ibn Al Jaza pour l’Ecole de Kairouan.
L’actuel Centre d’Etudes de la Civilisation Islamique de Raqqada à Kairouan était à l’origine une bibliothèque d’ouvrages scientifiques, réunis par l’aghlabide Ibrahim II au XIème siècle au Palais de Raqqada à Kairouan. Cette ancienne bibliothèque fut enrichie par Al Moez Ibn Badis après la répudiation du chiisme en Ifryquia, au début du XI è siècle. Elle abrita la célèbre « Mudawana » malékite de l’Imam Suhnun et de précieux manuscrits sur vélin.

Au XIV° siècle, Ibn Khaldoun note, « lorsque le vent de la civilisation eut cessé de souffler sur le Maghreb et sur al-Andalus, et que le dépérissement des connaissances scientifiques eut suivi celui de la civilisation, les sciences disparurent… On en trouve seulement quelques notions, chez de rares individus, qui doivent se dérober à la surveillance des docteurs de la foi orthodoxe ». C’est en effet, après les Croisades, refusant un instrument de diffusion du savoir et de la modernité aussi important que l’imprimerie, que le Dâr al-Islam ( la Maison de l’islam ) va se replier sur lui-même au XV° siècle, sur la rive Sud d’une Méditerranée marginalisée par rapport à l’Atlantique. Les Ottomans s’emparent de Byzance et s’imposent sur les territoires arabo-musulmans jusqu’au XIX° siècle, jusqu’à la colonisation européenne.
(Illustration: "Séances" de Harîrî, copie réalisée en 1237 par Yahya al-Wâsitî, école de Bagdad. Paris, BNF)

dimanche 19 avril 2009

Strangers in the Jazz

Il y a toujours dans chaque édition de Jazz à Carthage une soirée à part qui nous marque par son sceau indélébile. Ce fut le cas avec Johnny Griffin en 2005, Roy Hargrove en 2006, Abdullah Ibrahim en 2007, William Parker en 2008 et cette année avec Brad Mehldau et Charles Lloyd. Encore deux « strangers in the jazz » réunis pour une soirée intense qui aurait été exceptionnelle, si ce n’est le petit désagrément causé par l’incompréhensible réserve de Mehldau refusant d’honorer le bis des spectateurs qui l’ont réclamé pendant longtemps avec leurs applaudissements. Sans doute qu’en se produisant en première partie de Lloyd avec lequel il a collaboré, notamment sur l’album « The Water is Wide », Mehldau a-t-il choisi la retenue pour ne pas voler la vedette au maître qui désertera, lui, la rituelle conférence de presse de l’after-show. Mais le jazz a des fibres que la raison ignore qui conditionnent la sensibilité de ces artistes à fleur de peau pour qui la reconnaissance exclusive est un baume sur leurs fêlures d’écorchés.
Mehldau le romantique
Reste que le jeune et talentueux Mehldau a conquis le public tombé sous le charme de son jeu singulier enveloppant le piano d’un lyrisme inédit qui marie le rock, le classique et le jazz. Naturellement, puisque cet américain trentenaire qu’on prendrait pour un top-model est un enfant du rock et du classique qui s’est mis au jazz en se faisant remarquer avec sa reprise de la chanson de Radiohead "Exit music (for a film)". Affichant ses connivences avec Schumann et Led Zeppelin, Cole Porter et Nirvana, Monk et Lennon, Mehldau cultive ses propres emblèmes et ne craint pas de se frayer une notoriété hors des normes habituelles parmi un public d’amateurs qu’il initie à un jazz nouveau, sans barrières entre les genres et entre les musiques. Et quand il se penche sur le piano, cela ressemble à une séance de recueillement, à la manière d’un Bill Evans auquel il est souvent comparé. Il joue surtout comme il réfléchit, muni d’une anthologie qu’il a coulé dans sa série d’albums intitulée The Art Of The Trio. Mais ce passionné de poésie et de philosophie, a écrit aussi un ensemble de textes théoriques et académiques où il affirme que la musique est progrès et qu’il faut réinventer l’art du jazz en le décloisonnant. C’est dire que l’artiste manie avec brio autant la pensée que la composition et l'interprétation. Et sa technique modelée par le classique et inspiré par le rock et la pop imprègne le piano d’un toucher unique qui allie maîtrise et feeling, deux qualités essentielles à l’art du soliste qui a joué ce soir là des extraits de son album « Elegiac Cycle ». On rappellera aussi que Mehldau a contribué à la bande originale des films « Midnight in The Garden of Good and Evil » » de Clint Eastwood et « Eyes Wide Shut » de Stanley Kubrick. Pas besoin donc de faire oublier qu’il a été le "sideman" de Charles Lloyd ou de Joshua Redman qui l’a fait connaître au sein de son quartet en 1993. En 2008, le Brad Mehldau Trio était nominé au Grammy comme meilleur album instrumental de jazz, rejoignant ainsi les Chick Corea & Gary Burton, Pat Metheny et Dave Carpenter. Ce jazz essentiel est à découvrir absolument…
La voix majeure de Lloyd
Cette incessante quête de nouveaux standards est également au cœur de la musique de Charles Lloyd, ce grand défricheur de l’harmonie né à Memphis, berceau du blues et capitale de la « soul music ». Saxophoniste de génie, comparé à juste titre à John Coltrane, Lloyd est aussi un détecteur de talents dont les pianistes Petrucciani, Jarrett, Mehldau et la remarquable Geri Allen qui laissent tous des empreintes sur les albums multiples et innombrables du maître prolifique. Mais dans son New Quartet, c’est Jason Moran, ce texan appelé le « Thelonious de l'ère rap » qui trône à ses côtés au piano avec le contrebassiste Reuben Rogers et le batteur Eric Harland. Ces trois jeunes talents au jeu époustouflant répondent aux ardeurs de Lloyd par des écarts qui font monter d’un cran l’ambiance envoûtante de la musique. Distillés à fortes doses, entre les frémissements de l’improvisation et les incantations de Charles Lloyd, les morceaux respirent l’essence même du jazz, libérant les solistes qui atteignent la plus haute ambition musicale jamais entendue. Fils de gourous indiens, cet ancien hippie de Woodstock inocule ses paysages orientaux au Jazz et l’agrandit par ses rêveries spirituelles et des explorations modales qui donnent sur de savoureux vibratos au saxophone et sur des enroulements voluptueux que Lloyd sait tirer de ses divers instruments à vent dont l’un est à n’en pas douter une « zoukra ». Riche d’une longue expérience remplie par des fréquentations essentielles comme celles de Cannonball Adderley, Miles Davis, B. B. King, Billy Higgins, Gabor Szabo, Dave Holland, l’artiste continue à occuper le devant de la scène jazz depuis plus de quarante ans grâce à une expression intense et personnelle, un talent d’improvisateur unique et une présence scénique remarquable qui n’ont pas fini de bouleverser son public. Et ses titres emblématiques en disent long sur l’univers de cette icône inaccessible
: « La Colline De Monk », « Being And Becoming », « Black Butterfly », « Cape To Cairo Suite (Hommage To Mandela) », « Civilization », « Dancing On One Foot », «Dancing Waters, Big Sur To Bahia (For Gilberto and Caetano) », « Darkness On The Delta Suite », « Dervish On The Glory », « Figure In Blue », “Hafez, Shattered Heart”… Mon ami Malek Lakhoua, batteur et leader du Blue Note Project, serait bien d’accord avec moi pour dire que si le jazz n’existait, il aurait fallu l’inventer…
(Photo: Charles Lloyd, Jason Moran, Reuben Rogers et Eric Harland)

Homo-narrator

« Le peuple phénicien a l’insigne honneur d’avoir inventé les lettres de l’alphabet. »
Pline l’Ancien

C’est sans doute au nom de la nature que l'homme élabora le premier récit établissant sa conscience du monde. L'idée même de narration serait ainsi née, dans une société de chasseurs, de l'expérience du déchiffrement des traces du gibier. Cette aptitude à lire, dans les traces muettes une série d’événements, place la métaphore au cœur de la lettre, en condensant le processus historique qui aboutit, au terme d'un laps de temps peut-être très long, à l'invention de l'écriture. C’est dans ce même ordre métaphorique que la tradition chinoise attribuait l'invention de l'écriture à un haut fonctionnaire qui observa les empreintes d'un oiseau sur la rive sablonneuse d'un fleuve. Avant l’Homo sapiens, il y aurait eu ainsi un Homo narrator, « homme des paroles » exprimant son extraordinaire faculté à tisser des récits et à les communiquer. Si parler le monde entraîne à le dessiner, l'écriture ne reproduit cependant pas la parole, mais la rend visible, à travers l'image ou l’idée qui la suggèrent. Et c’est encore mère Nature qui donne à l’homme ses premières pages d'écriture avec les tracés divinatoires qu’il accomplit dans le sable ou les messages qu’il déchiffre dans le ciel étoilé. Sans compter que les supports de l’écrit furent empruntés par les premiers scribes à l’environnement immédiat. Ainsi, si la pierre atteste des premiers signes d’écriture, c'est le bois qui serait le premier véritable support livresque. Les mots biblos et liber ont d'ailleurs pour premier sens écorce intérieure d'un arbre.
Pourtant, au regard de l’histoire de l’humanité, l’écriture est une invention récente. En effet, comme l’affirme Etiemble, si l’homme parle depuis environ 100 000 ans, il n’écrit que depuis un peu plus de 5 000 ans. De la trace au tracé, du dessin au pictogramme et de l’idéogramme à l’alpha, la traversée des signes accomplie par l’écriture porte la diversité et la mobilité des peuples qui l’ont façonné. Or, l’écriture n’est pas une invention universelle et certaines civilisations, comme les Celtes, ont pu s’en passer, ou l’adopter tardivement comme l’Inde. Inventée plusieurs fois et de manière indépendante, l’écriture est née en Basse-Mésopotamie vers 3300 av. J.-C., en Egypte presque en même temps, en Méso-Amérique, chez les Olmèques, entre 2000 et 1500 av. notre ère, et en Chine au milieu du IIe millénaire av. J.-C. C’est seulement à partir de la diffusion de l’alphabet phénicien (vers -1000) que les écritures entrent dans un système de filiation ininterrompue.
L’évolution de cet extraordinaire outil de savoir et de transmission réside aussi dans son insaisissable multiplicité. Et son histoire en Méditerranée se révèle comme l’infini bruissement des richesses trans-géographiques, humaines et culturelles de cette mer intérieure. Car nulle part ailleurs que sur ces rives, on ne rencontre autant d’écritures nourries aux civilisations qui s’y sont succédées. Déjà, il y a des millénaires, l’homme préhistorique a laissé de très beaux textes en images peintes sur les parois du Tassili, du Fezzan, ainsi que dans certaines régions de Tunisie méridionale et septentrionale : des scènes de chasse, de danse, de rencontres où se mêlent hommes, femmes et animaux comme les peintures pariétales de Aïn Khanfouss ou la scène pastorale récemment découverte sur la paroi d’une grotte à Ghomrassen. On y relève des symboles et des signes dont la signification n’est pas toujours aisée à établir. Or, l’histoire de l’écriture au Maghreb recouvre la majeure partie de l’histoire de l’alphabet, car avec l’arrivée des navires phéniciens, vers le IIème millénaire av. J.C., cette partie du monde reçut les expériences culturelles de l’Orient sémitique, et passa directement à l’écriture alphabétique.
La plus ancienne forme d’écriture pictographique apparaît, vers la seconde moitié du IVème millénaire avant J.C., en Mésopotamie. Dans les premières inscriptions sumériennes de cette écriture, dite « aide-mémoire » comme les entailles des premiers hommes, les pictogrammes renvoient à un objet ou à un être désigné. En combinant plusieurs pictogrammes, on pouvait exprimer une idée. Vers 2900 av. J.-C., les Sumériens prirent l’habitude, pour des raisons matérielles, d’utiliser des tablettes d’argile et des calames (roseaux taillés en pointe) pour écrire. Ces calames étaient taillés en biseau. Ensuite, on imprimait dans l’argile fraîche des empreintes qui prenaient la forme de coins et de lignes constituant des genres de clous qui devaient représenter les dessins primitifs. De là est née l’écriture cunéiforme, de cuneus, clou en latin.
Vers la même période, un processus analogue permet à l’Egypte d’atteindre le stade de l’écrit idéographique. Ces expériences se multiplient dans l’ensemble des pays aujourd’hui arabes et jadis sémitiques qui ont vu naître les écritures cunéiformes, hiéroglyphiques, puis alphabétiques.
Et c’est quelque mille cinq cents ans plus tard, que l’alphabet fait enfin son apparition à Ougarit, au nord de la côte syrienne, ainsi qu’en Palestine. À la différence de l’écriture idéographique qui permettait de transcrire soit des mots ou des syllabes et qui demandait la connaissance d’un grand nombre de signes pour pouvoir lire et écrire, cet alphabet fonctionne avec une trentaine de signes et permet de tout écrire. En 1050 av. J.C., les Phéniciens disposaient d’un alphabet de 22 lettres qui ne contenait que des consonnes. Constitué en majorité par des navigateurs et des marchands, les Phéniciens commerçaient avec tous les peuples du pourtour de la Méditerranée et eurent donc plus de facilité à répandre leur alphabet. Avec cette invention, débute le fabuleux destin d’un système de mémorisation universel qui va démocratiser le savoir et la transmission de la connaissance.
Ancêtre de presque tous les systèmes alphabétiques du monde, l’alphabet phénicien a permis la naissance de l’alphabet grec comme le relate l’histoire de Cadmos apportant l’alphabet aux Grecs. Mais, plus pragmatiques, ceux-ci ajoutent des voyelles pour rendre cet alphabet lisible. Car leur langue trop différente ne pouvait être écrite avec les alphabets déjà existants. En plus de nous laisser une des littératures les plus riches et les plus variées de tous les temps, les Grecs tracent les premières grandes lignes des alphabets du monde occidental tels que le latin, le cyrillique et l’étrusque.
Au fil de son histoire, l’arabe qui appartient au groupe des écritures sémitiques consonantiques, a été confronté comme le grec à la même aporie. C’est ainsi qu’on a du recourir à des signes diacritiques, et plus tard à des points pour indiquer les éléments du discours non représenté par des lettres.

(Photo: Fragments de la mer Morte)

Bibliographie
Stephan Jay Gould, “Social Agency and the Dynamics of Prehistoric Technology”, in Journal of Archaeological Method and Theory, 1994.
Ecritures en Méditerranée, ALIF 1988
L'écriture en Méditerranée, Abderrazak Bannour, Edisud, 2004
Le site internet de la Bnf, Bibliothèque Nationale de France
Archéologia - N° 167 La naissance de l'écriture

samedi 18 avril 2009

Au souvenir d'Uli

Urlich Vogt, Uli pour ses proches et ses amis, était un défricheur, un rêveur, un être aérien à fleur de mots, à fleur de peau... Je me rapellerais toujours, pendant les deux ans où je l'ai côtoyé en tant que patron, ses sauts de biche dans l'escalier de la Naumann Stiftung, qui signaient ses élans de danseur nietzschéen... Il le fut... Il m'apprit le labeur dans la joie... me sortit de mon autisme... et n'a pas fini de m'apprendre à être Moi... J'aurais voulu lui dire cela et tant d'autres choses encore... Dans le dernier mail qu'il m'écrivit, il me dit qu'il le savait un peu déjà... Grâce à Uli, j'ai connu Smail Hadj Ali, un ami que je retrouve aujourd'hui autour de son souvenir toujours si vivace et que je remercie de marquer ces retrouvailles en m'envoyant cet article-hommage à celui qui fut un des siens.

Evocation-Ulrich Vogt
Un ami intime de l’Algérie

« Le monde s’éloigne Seul le vent et moi…»
Le 31 juillet 2004, Ulrich Vogt s’en allait, entre deux saisons, foudroyé par une terrible maladie. Pour mémoire, Uli, c’est ainsi que tout le monde l’appelait, fut le représentant pour le Maghreb, à Tunis, de la Fondation allemande Friedrich Naumann entre 1991 et 1995, puis à Amman pour le Moyen-Orient de 1997 à 2004.
Ulrich Vogt, un homme raffiné, de grande culture et à l’humour décapant, aura travaillé à créer les conditions pour que puissent se développer entre les élites de ces pays, et plus particulièrement du Maghreb, débats et échanges dans de nombreux domaines et autour de plusieurs thèmes, tels que le pluralisme et le professionnalisme des médias, l’économie de marché, la problématique de la formation ou de l’émergence des sociétés civiles au Maghreb. Il appuiera et soutiendra les luttes des associations féminines et l’émergence d’un noyau de femmes chefs d’entreprise dans la région. Grâce à son action soutenue, persévérante, dénuée de tout paternalisme et de tous préjugés, du fait de sa culture et de sa vision du monde, il permit à des femmes et des hommes d’Algérie, du Maroc, de Tunisie, et plus largement de la sphère civilisationnelle arabe, de mieux se connaître, de se rapprocher, et, à défaut d’être d’accord sur de nombreuses questions, de constater qu’ils faisaient partie d’un ensemble culturel, géographique et humain commun, partagé, malheureusement trop cloisonné par les logiques d’Etat. En ce sens, Uli Vogt a été, dans la discrétion et la constance, solidaire des actions et combats menés dès le début des années 1990 pour les libertés démocratiques. A ce titre, il contribuera fortement à l’organisation en février 1993 à Alger d’un séminaire de 3 jours réunissant plus de 50 journalistes et responsables de titres privés et publics d’Algérie, du Maroc et de Tunisie. A cette rencontre, une première du genre, participera en tant qu’invité surprise, le regretté M’hamed Yazid, en sa qualité de tout premier ministre de l’Information du GPRA. M’hamed Yazid profitera de cette tribune pour dire l’impératif de la formation d’un espace médiatique pluraliste, démocratique et professionnel maghrébin, libéré des étroitesses d’esprit, des visions partisanes et des logiques des pouvoirs d’Etat. Au titre de l’intérêt accordé à l’Algérie, il nous faut rappeler la rencontre entre journalistes du Maghreb, intitulée « Les médias par eux-mêmes », mais dont le caractère de solidarité avec les journalistes et intellectuels algériens, confrontés à l’espace public du crime théocratique, ne trompait personne. Durant cette activité organisée à Malte en 1994, la journaliste britannique progressiste Vittoria Brittain du Guardian dénoncera tant l’absence de solidarité des médias et journalistes occidentaux, à quelques infimes exceptions, à l’endroit de leurs collègues algériens en proie aux lames et aux pistolets des tueurs de l’islam politique, que l’injustice faite à l’Algérie antiterroriste par les puissants de ce monde. C’est la même démarche de soutien démocratique qui détermina Uli à aider à l’organisation par l’Institut interdisciplinaire des droits de l’homme, et la section suisse de Reporters sans frontières, en conflit ouvert avec la section française de RSF quant à l’analyse de la crise algérienne, d’une semaine de solidarité avec les journalistes algériens, qui se déroula en 1996 à Fribourg, en Suisse. Structurée autour de la thématique « Liberté d’expression, liberté de la presse : quel espace public pour l’Algérie ? », cette activité, difficile à organiser en Europe, du fait du soutien, ou du laxisme volontaire des milieux dominants des médias, de la sphère politique et intellectuelle en Europe, à l’endroit de l’islam politique à cette époque, a permis à de très nombreux journalistes, venus d’Algérie, de débattre avec des journalistes et universitaires suisses et de fournir d’autres éclairages, que ceux des médias européens, et français en particulier, sur la réalité de l’intégrisme et de son idéologie en Algérie. En organisant ou en soutenant ces activités, Uli, au-delà de son obligation de réserve du fait de sa fonction, refusait l’ambiguïté face à l’idéologie liberticide de l’islam politique, et allait à contre-courant des puissantes marées de la « régression féconde » théocratique, vantée ici et là-bas. Cette position se traduira également par l’aide discrète et amicale accordée à des citoyens algériens pourchassés par les terroristes de l’intégrisme islamiste. Attitude rare à cette époque et d’autant plus précieuse, puisqu’il en allait de la vie de ces citoyens. Ce rappel abrégé des actions qu’il initia, des activités qu’il organisa ou qu’il aidera à monter en sa qualité de représentant de la fondation, ne doit pas occulter d’autres dimensions et aspects de la personnalité de ce spécialiste du surréalisme, auteur d’une thèse sur André Breton. Cette connaissance du surréalisme se doublait de celle de poètes français, tels Pierre Reverdy ou René Char. Mélomane informé, il écoutait tant l’Algérienne cheba Zahouania, dont il appréciait, entre autres, la lancinante et douloureuse chanson Goulouli ouine rah yergoud, ou l’Egyptienne Asmahane, que le Concert de Cologne de Keith Jarett, les cantates et fugues du compositeur baroque J-S. Bach, ou les Lieder de Franz Schubert composés à partir des poèmes de Gœthe. Uli était aussi un brillant essayiste auteur de réflexions sur le monde arabe et d’études sur D’jeha ou sur les blagues politiques (nouktate) au Maghreb et au Machreq, dont il maîtrisait toutes les connotations. Fin connaisseur de la langue fouç’ha qu’il enseigna en Allemagne et des loughate derdja des pays où il séjourna (Algérie, Jordanie, Tunisie), il enseigna également la langue et la littérature allemandes, mais également la traduction, allemand/français, à l’Université d’Alger de 1983 à 1986. Marié, père de trois enfants, nés en Algérie et en Jordanie, Uli avait 50 ans. Dans un recueil de poèmes de Pierre Reverdy, dont il me fit présent, dans mes premiers temps d’exil, les vers suivants sont soulignés :
« Le plafond pèse sur ma tête et me repousse
Où vais-je me mettre où partir
Je n’ai pas assez de place pour mourir. »