vendredi 29 avril 2011

Quand la révolution 2.0 enfante des "amours blogosphériques"

      La révolution 2.0 l’a prouvé, bloguer, c’est, bien sûr, s’exprimer et communiquer, mais aussi déranger les choses et secouer l’ordre établi, en maniant l’art de l’ironie. L'ironiste, disait déjà Jankélévitch, utilise l'intelligence pour contrer la sottise, l'égoïsme et la méchanceté. Tout blogueur qui se respecte compte dans son arsenal cette arme redoutable qu’est l’ironie, pour simplifier, distiller, dénuder, avant d’aller à l’essentiel. Car qu’est-ce que l’ironie sinon cette liberté de tout remettre en question, au risque de réveiller des monstres tapis dans un traître anonymat. Qu’on les appelle « Ammar 404 », « rat », « phoque » ou autre fumisterie, les attaques de ces assaillants virtuels ne font que stimuler le cercle des internautes aguerris.  Bent Trad et Chut Libre, deux jeunes blogueurs que nous évoquions dans notre enquête publiée sur Réalités, sont des amateurs raffinés de cette liberté virtuelle, et non moins réelle, à laquelle l’ironie donne des ailes. Et s’ils ont de ces pensées dansantes et grinçantes qui agacent les uns et enchantent les autres, c’est aussi parce que leurs sensibilités croisent leurs pseudonymes, dans ces jeux de l’humour et de l’amour, qui font croire à beaucoup d’internautes que Bent Trad et Chut Libre ne font qu’un. En fait, par cette équivoque, le duo ne trompe pas seulement l’ennemi et l’ennui, mais consent surtout à la ruse du cyber-guerrier dont le but secret est d’engager un dialogue avec ses pairs et de bannir grands dictateurs et petites dictatures. Dans l’entretien qu’ils nous accordent, ils nous parlent de leurs « amours blogosphériques », d’écriture, de liberté, de révolution, du débat sur la laïcité, d’avenir et de projets plein la tête. Nous livrons ici ces entretiens croisés sous forme de témoignages, en retirant volontairement nos questions, afin de laisser libre cours à leur parole.


"Je dis révolution: se révolter et se révéler à soi-même.."

Chut Libre
Avant 2010, l'écriture pour moi était de l'ordre de l'intime. Je ne croyais pas que sur internet, cette limite cristalline entre l'intime et le public serait et pouvait être respectée. Plus profondément maintenant, je dirais que je sentais en moi comme une obligation morale de le faire. J'avais trop à dire, mais surtout trop à partager. Je me souviens de mon premier billet sur le blog, غدوة نحرق (Demain, je brûle), comme fut mon premier statut sur mon profil facebook "chut libre". Puis mon deuxième billet, un poème en arabe littéraire où je voulais mettre les mots sur le mal quotidien et partagé qu'on vivait tous en silence. Puis, d’autres articles ont suivi. Le choix de la langue (l’arabe dialectal) fut instinctif. A vrai dire mes premiers billets étaient en arabe littéraire, après, quand les choses ont commencé à bouillonner, je ne pouvais plus porter le masque d'aucune autre langue. Notre dialecte est si poétique, riche, dense. En effet, les émotions étaient si fortes, il fallait le dialecte qui va avec : le notre, celui de nos 5 ans, et probablement de nos dernières heures. Les évènements sont venus quelques jours après, le pays en "chute libre", je ne pouvais plus me taire. Dans la série de personnages que j'ai livrée sur le blog, il y a des gens que j'ai connu, des gens que j'ai vu porter le poids de la terre sur leurs épaules fragiles. J'ai voulu recréer des situations brèves où certaines minorités oubliées parlent. Des citoyens, qui comme moi, ne pouvaient crier leurs maux, car les tabous, les non-dits, l'éthique, puis la censure, la dictature en définitif, une dictature politique publique et une autre beaucoup plus personnelle. Chaque article est une délivrance. Je suis intimement convaincu que la "force" de la dictature dite douce de Ben Ali était dans l'ancrage psychique qu'elle a renforcé au fur des années dans nos esprits opprimés. On voyait le dictateur partout, dans nos rues, dans les espaces publiques, dans nos lieux de travail, etc. Le dictateur se cachait en nous ; on le savait, douloureusement. Pire encore, on devenait petit à petit son propre dictateur. Mon dictateur à moi a fermé sa bouche le jour où j'ai osé lynché Ben Ali ouvertement. Mon dictateur à moi s'est immolé avec l'article sur Mohamed Bouazizi. Ca, sur un plan politique. Quant à l'intime, je crois que j'ai bravé cette bête de l'inconscient avec l'article traitant de l'homosexualité. Je ne le considère point comme un "coming out" ; mais plutôt comme un défi public à cette dictature de l'éthique. Ce partage donc m'a forcément aidé à enterrer ce fantôme en moi ; une fois pour toutes. Oui, malgré ce qu'on peut penser, la dictature des non dits ne sera plus la même parmi nous. J’ai découvert dans la blogosphère tunisienne un monde plutôt marrant. Il y a d'une part les cyberdissidents et les activistes, avec qui je n'ai pas forcément beaucoup interactions, pour des raisons diverses. Je ne me veux pas militant, même si certains de mes amis tiennent à me dire que ce que je fais est aussi une forme de militantisme. Et il y a de l'autre côté les blogueurs qui comme moi, tiennent un blog comme ils tiennent un carnet intime. Avec ces derniers je tisse chaque jour un lien quasi familial, doux et compréhensif. Ces gens là, dans la plupart sous pseudonyme tout comme moi, ne sont pas là pour démontrer, mais juste pour parler, échanger, ou simplement se "confesser" sans être jugés. Ce qui me plait le plus chez mes amis blogueurs de cette catégorie c'est la diversité des styles. J'ai mes préférés, certes, et mes amours "blogosphériques" auxquels je tiens et avec qui je me sens en résonance. C'est rassurant, ça tient au chaud, et ça soulage. Jamais je n'oublierai la présence réconfortante de mes amis blogueurs dans la période la plus critique de la révolution. Entre nous comme un pacte s'est tissé, une assurance, un lien. On parlait, chacun son style, chacun ses mots. Les maux étaient les mêmes. Les larmes étaient là, mais surtout les rires. J'ai gardé mes articles accessibles pour les commentaires de la part des anonymes, et j'étais par moments désespéré par le déferlement des attaques, des injures, de harcèlement et des intimidations sur certains articles. Ces intimidations ont dépassé le stade des mots, certaines personnes ont essayé le piratage de nos comptes et de nos blogs. Finalement, ils ont réussi avec les signalisations massives du blog de Bent Trad à la bannir périodiquement. Chose fort désolante et déplorable. Quand je me souviens que ces mêmes personnes ont partagés certains de mes articles portant sur la liberté de l'expression. Leur petit dictateur doit être toujours là. Le chemin est encore long. Mais dans tout cela, je ne me considère nullement militant. Mon engagement je le garde pour moi. Un engagement sur l'honneur, sur le sang des martyrs, et sur les jours de noirceurs passés. Se battre contre la dictature pour imposer cette néo dictature ! je ne veux même pas trop y penser ... Ils peuvent fermer nos blogs. Ils peuvent pirater nos comptes facebook. Ils ne peuvent plus, ni eux ni quiconque d'autre nous faire taire à nouveau. Mais tout ça a servi à renforcer notre solidarité et nos affinités. On serre les rangs, on taille les crayons. On est prêts. Le 14 janvier, une révolution, oui ! Malgré les amalgames possibles dans l'étymologie, je dis révolution: se révolter et se révéler à soi-même. Accepter son visage, dépasser les phobies. On se souvient tous de la fameuse réplique répétée : la peur a changé de camp. Si ce n'est pas une révolution ça! Se réveiller dans une Tunisie qui ne respire plus la photo unique, la couleur unique. Vivre le pays sous toutes ses couleurs, une révolution, oui. Ce jour-là, j'étais devant la télé le matin, quand je voyais avec dégout que la télé nationale continuait dans son délire nauséabond et que je me suis dit que ce jour n'est pas le jour pour rester chez soi. Hélas, je n'étais pas à la capitale, mais j'ai fait mon propre dégage à ma manière, j'ai passé la journée dehors, j'ai tagué un mur, participé à une grande manif, et j'ai surtout subi des coups de matraque sur mon épaule. Rentré avec une épaule matraquée, plus capable de supporter le poids des silences, j'ai écrit un autre article, quand d'un coup les images de la fuite de Ben Ali. Le 14 janvier n'était pas LA journée historique pour moi, personnellement, tous ces trois mois été des 14 janvier. Les manifs, l'anarchie qui s'est mise en place, les moments de doute et de vertiges, je pense que c'est tout à fait naturel. le contraire m'aurait effrayé. Sinon, pour la kasbah, la 1 j'étais d'accord (pour les demandes, les principes), la 2 encore moins, la 3 pas du tout. L'heure n'est pas celle de la bravoure post 14 janvier. Ceci ne veut en aucun cas dire que l'on doit lâcher les revendications, le combat continue, mais je ne suis pas d'accord pour les manières, ça commence à virer. Finalement, pour le débat sur la laïcité, fort malheureusement: débat stérile entre deux parties autistes ; les premiers portés sur un idéalisme incompris et dépourvu de moyens, les seconds, complètement bornés, dans l'incompréhension totale et l'acharnement stupide. Je suis 100% pour la laïcité. L'avenir de la blogosphère, parallèlement à celui du net en général, n'est plus et ne sera plus dépendent, à mon avis, de Ammar, et de ces dénonciateurs. Si la révolution nous a prouvé quelque chose, c'est que quel que soit la véhémence de la répression, la voix, le mot en l'occurrence, vole de ses propres ailes. On continuera :) Mes projets : Maintenant qu'il devient comme un devoir : VIVRE. D'une manière beaucoup moins poétique: s'activer dans la construction d'un lendemain sur et prometteur à nos enfants ... et continuer à être moi même en version plus allégée : moins opprimé. Et puis, peut être un projet de mise en scène théâtrale et un livre à venir. De ces livres qu'on ne fait plus, dans la langue de la chair et du jasmin: le Tunisien.


"Le 14 était une belle journée pour mourir.."

Bent Trad
Pour être honnête je n'étais pas ce qu'on appelle une internaute comme tout le monde, j'utilisais le net pour suivre les infos surtout grâce à facebook, je ne connaissais pas du tout la blogosphère tunisienne. Comme plein de tunisiens, j'étais sur facebook cela me permettait de centraliser l'information de rester en contact avec la société civile, chose qui était devenue impossible sous Zaba ... J’ai ouvert un blog dans le cadre de la campagne « 7ell Blog » et au début, pour être franche j'étais réticente, j'avais des réserves, le voyeurisme, l'étalage de la vie privée m'angoissaient un peu, mais j'ai très vite limité cet usage. Cela m'avait même permis de partager un peu de ma poésie et c'était vraiment un excellent moyen pour avoir un retour sur mes textes, écrits qu'en langue française à l'époque ! Je suis une francisante, depuis le bac je ne me souviens pas avoir produit un texte en arabe jusqu'au jour où fut née BENT TRAD j'avais remarquée que les gens interagissaient énormément avec mes commentaires assez acerbes faut avouer !!! Et comme ça un jour j'avais écrit un texte sur AMMAR 404 en dialectal et depuis j'en ai écrit des tas .... je ne pense pas qu'il y ait une langue des émotions mais je pense que c'était surtout un besoin en moi de communiquer un besoin quasi viscérale d'être lue d'être écouté (avec les vidéos), d'avoir un répondant, car les textes en langue française restent le plus souvent sans retour! Pour les événements de Gafsa, j'avais suivi ça de près car j'avais des moyens d'informations autres, notamment des amis qui étaient dans le comité de protection du bassin minier. J'ai toujours été activiste, et de ce fait j'avais des news en ce qui concerne Sidi Bouzid. Mon blog existait déjà et je l'ai utilisé pour appuyer à ma façon, avec mes mots, cette révolte ! Je ne pense pas que ce soit une révolution, de toute façon, de grands spécialistes, tel que Bourdieu, pensent que ce sont des émeutes. Je leur fais confiance, et puis qui dit révolution dit RUPTURE. Nous ne faisons que des réformes importantes, colossales certes, mais ce ne sont que des réformes. Le rapport à la femme n’a pas changé, l'auto-censure et voire la censure continuent, les jeunes sont écartés de toute instance officielle qui a un pouvoir de décision, donc c’est pas vraiment la révolution. C'est maintenant que la révolution commence, puisque c'est maintenant que tous les partis et toutes les mouvances doivent réaliser que nous avons fait cette révolution pour être LIBRES de toute forme de répression notamment le fanatisme religieux. J’ai été dans la rue le 14 devant le ministère de l'intérieur, et c'était la plus belle des journées qu'il m'eut été donné de vivre dans ce pays, à 8h30 j’étais devant l'UGTT, j'étais là quand la foule scanda unanimement L'AVENUE L'AVENUE .... A ce propos je dis toujours que le 14 était une belle journée pour mourir et même quand il y eut les lacrymogènes, je pense que je n'avais pas envie de partir ni de courir, j'avais envie de résister je me disais " si BEN ALI reste nous sommes MORTS", pas deux cents pas trois cents, mais il pourra tuer des milliers, et c'est ce qui renforçait mon courage et ma lutte ce jour-là. Mes affinités avec les blogueurs ne sont pas du tout différents de mes affinités avec les personnes réelles qui partagent ma vie ... Mon premier besoin est la sincérité qui passe essentiellement par le langage et les mots je suis une fan de la page facebook de BIG TRAP BOY et je suis de très près ce dernier et Ali Saidane « khil wi lil », et enfin j'ai eu un véritable coup de cœur pour le blogueur CHUT LIBRE !! Je recherche dans les blogs ce qui manque dans la vie, humour, distanciation ou encore sensibilité et surtout de la poésie !! La blogosphère fut, tout aussi bien que facebook, mon humble façon de contribuer à la révolution vu la fermeture quasi totale de tous les espaces de liberté vu l'étroite surveillance qui entourait toutes les associations, j'avais trouvé là un espace d'expression libre et libérée sans surtout le souci de rendre compte à qui que ce soit ni de mes positions ni d mes propos très critiques à l'égard du pouvoir mais aussi de l'opposition et des fanatiques. D’ailleurs, j'ai été la cible, et pour appeler un chat un chat, la cible des islamistes auxquels je ne faisais aucune fleur, je n'ai pas vécu cela ni mieux ni pire que la répression policière de la DST de Ben Ali. J'avais des choses à dire je les disais et je devais assumer un point c’est tout et je continuerais, quelle que ce soit la conséquence. L'engagement est un choix il faut l'assumer sans tomber dans le victimisme ou sans se sentir héros non plus. C’est un devoir. Mon blog Bent Trad a été signalé sur blogospot, du coup quand je partageais mes articles un grand WARNING accueillait mes lecteurs j'avais LA RAGE sachant qu'il m'arrive des fois de mettre plus de temps pour choisir une photo que pou écrire un article. jJétais complètement chamboulée j'avais fini par aimer ce blog comme une ado peut aimer son journal intime . Et dans ce moment de tristesse, CHUT LIBRE était là et on s'est parlé et on a commencé à écrire ensemble. Cette co-écriture n'était ni plus ni moins qu'une discussion entre deux personnes qui partageaient plein de choses et surtout et le plus important une "même " sensibilité par rapport aux choses de la vie ... D'ailleurs, à ce propos plein de gens nous prennent pour la même personne et nous maudissent de la même manière, c'est une façon de soutenir aussi Chut Libre qui souffre des mêmes injures quotidiennes, mais pour moi c'est une manière de faire exulter la femme que je suis : aimer n'est pas chose donnée mais co-écrire alors c'est un rêve que je n'aurai jamais pu caresser. La blogosphère ira mieux de mieux en mieux enfin j'espère ! car cette dernière n'est pas à dissocier pour moi de l'art ou des médias s'ils évoluent la blogosphère évoluera avec sinon je suis certaine que nous allons avoir de très jolies surprises:) Le seul projet que j'ai dans l'absolu c'est d'être un jour lu sur du papier d'être publiée et de pouvoir signer mes bouquins et pourquoi pas les lire, mais pour cela, faudra que je quitte l'anonymat et pour quitter l'anonymat il faudra qu'il y ait et de la liberté et de la démocratie, donc finalement mes projets c'est tout simplement ce pays et j'espère du fond du cœur que je n'aurai pas un jour à pleurer, comme j'ai vu certaines personnes âgées le faire, de joie pour avoir été à nouveau libérée ( je m'explique : j'espère que nous ne connaitrons pas une nouvelle dictature !).


Annexe: Commentaires sur la page Facebook de Bent Trad à propos de ce post


Chut Libre ‎"Et s’ils ont de ces pensées dansantes et grinçantes qui agacent les uns et enchantent les autres, c’est aussi parce que leurs sensibilités croisent leurs pseudonymes, dans ces jeux de l’humour et de l’amour, qui font croire à beaucoup d’internautes que Bent Trad et Chut Libre ne font qu’un." :))))


Bent Trad c'est une façon de soutenir aussi Chut Libre qui souffre des mêmes injures quotidiennes, mais pour moi c'est une manière de faire exulter la femme que je suis : aimer n'est pas chose donnée mais co-écrire alors c'est un rêve que je n'aurai jamais pu caresser


Chut Libre l'amour dyèli ♥


je l'avoue devant le monde entier devant tous les dieuxe t toutes les injures dont j'écoperai àcause de lui : Chut Libre je t'aime comme je ne sais pas aimer ds la vie, ici, loin de t présence absence :')

Chut Libre je jure sur toutes les dei existantes et celles encore jamais imaginées que je t'aime d'amour sans jamais te connaitre et tt en te connaissant, et rien que cette pensée me sauve d'un quotidien qui devient assassin !


Bent Trad 
Nadia Haddaoui Mabkhout plus encore !!! cet être virtuel se mêle tellement et si évidemment à mes amours réelles qu'il m'épuise !! imagine !! en pleine amour ou désir me voilà mi LA FEMME forte rebelle et indépendante face à Mercury et au fameux YEDDHOM et je me pose et je pose mes yeux sur l'être devant moi et ms tripes râlent vas-y dévore absorbe rejette déferle toi en ou sur moi de tt façon l'homme qui a co-écrit l'homme qui a sur retranscrire mes maux avc moi est quasi-inexistant alors soit tu pourras disparaître et dans sa quasi-existence je m dis :


Nadia Haddaoui Mabkhout Tu te dis quoi?


Chut Libre elle dit YEDHOM :)))))))))))

Bent Trad je dis que .... je suis fatiguée !!


Chut Libre et je te dis que je ne te laisserai pas sombrer . tu coules je coule. tu cool je cool également :))


Bent Trad drôle de promesse pour une chute libre :)





Révolution et contre-révolution : Les mémoires de l’oubli

Massir Destin m’a invité sur Facebook à participer à la journée du « post civil » التدوينة المدنية avec les internautes tunisiens. Quoi dire après tant de silence… non pas silence de plomb, mais silence vertigineux, celui qui dispersa la clameur folle du 14 janvier… L’émotion encore dans la tête et dans le ventre, qui cloue les mots insomniaques au pilori de l’incertitude… Ça sortira, il le faut, avec le reste, avec les maux d’avant, les maux de maintenant et les maux à venir… Merci Massir de m'avoir débloqué...

Deux ou trois choses à sortir dans l’urgence…

D’abord, il faut dire à ceux, qui ne le savent pas encore, que la compagnie des blogueurs, ça change votre regard sur le monde, les mondes allais-je dire, et la manière de le lire, de le dire, de le transformer, avec des ailes posés là au creux de leurs paroles, ça vous dénoue le cri et plein de papillons s’envolent loin.. très loin.. avec leurs illuminations… Azwaw, Arabicca, Extravaganza, Bent Trad, Chut Libre, Wallada, Pink Lemon, Débat Tunisie et j’en oublie… Ils m'ont donné envie de créer mon blog. Houssein m'a un peu aidé au début pour le langage html auquel je ne pigeais rien. J'ai quand même fini par déserter pour suivre les autres blogs!:) Hier, justement, j’ai eu le plaisir de rencontrer Emma Benji et elle m’a dit que les journalistes (certains journalistes), râlent un peu contre les blogueurs… Il y a de quoi, ces derniers sont à la une, un peu partout, alors que les premiers étaient les grands absents, médiatiquement parlant, de la révolution. Il est vrai aussi que certains d'entre eux se sont exprimé sur les réseaux sociaux! Il faut imaginer que les journalistes ont été formatés par la dictature au point qu'ils ont été déconnectés non seulement de la réalité, mais d'eux mêmes ... Pour être dépassée, la censure par le silence et l'étouffement doit aujourd'hui être racontée et consignée... 


Jalousie féconde en tous cas, car il est impératif que les uns et les autres agissent ensemble pour la liberté d’expression et d’information. Il y va de l’avenir de notre nouveau paysage médiatique…

Ensuite, il y a cette échéance du 24 juillet dont beaucoup ne comprennent rien, moi y compris, avec ce retour en force du refoulé qui est le fait même du Politique avec un grand P. J’assistais hier à une interview faite à Raja Ben Slama et je reprends ici ce que m’inspirent quelques unes de ses idées, toujours pertinentes. D'abord sur la peur. Celle visible dans les derniers sursauts d'une dictature agonisante. Celle audible, à travers le discours dissonant des Nahdhaouis qui traînent anciennes et nouvelles tragédies avec deux ou trois deus ex-machina. De plus, le faux débat sur l’opposition entre islam et laïcité, qui a ouvert les hostilités sur Facebook et dans la rue, a fini par terrifier les plus modérés, en mettant au jour le malaise identitaire vécu par toutes les générations confondues, face à la faillite de la modernité arabe, une "modernité mutilée" disait déjà Chahla Chafiq, et à la barbarie de la globalisation. Déjà que le post-colonial n'est pas encore réglée. 


De ce point de vue, il faut aussi questionner les forces dites "démocratiques", qui n’ont pas encore réajusté leur baromètre de la démocratie, continuant à rabâcher les mêmes idéologies obsolètes, pas du tout adaptées au contexte actuel, et qui sont aussi radicales que les intégrismes religieux. On pense bien sûr ici aux Patriotes Démocrates, au Bâathistes et aux Extrêmes Gauchistes. Dans ce sens, j'aime cette autre idée de Raja qui dit, que, dans ce contexte, seul l'intellectuel à le droit et le devoir de se radicaliser. Pas le politicien.  Il y a aussi  ceux qui sont restés dignes, au temps où la dictature était du plomb durci et du souffre confit, et auxquels beaucoup veulent aujourd'hui dénier l'honneur du combat. On pense évidemment au FDTL, au PDP et à Ettajdid. Rappelez-vous, il y a eu un moment où nul ne pouvait mettre un baume sur les blessures des prisonniers, des morts, des disparus, des torturés, des terrassés, des sourds, des aveugles et des muets…


Le traumatisme commence là… Quand s’éveille la mémoire de la peur, quand retentissent de toute leur férocité, des horreurs que nous devons exorciser. Surtout marche sans te retourner, sussure la voix de votre petit dictateur intérieur...


Commençons par nous retourner sur ce passé, sur ces passés. N’oublions pas, qu’au fil de ces années mauves, le gouffre s’est aussi creusé entre les générations, entre le citoyen et la politique, entre les hommes et les femmes, entre le passé et l'avenir. En fait, le temps s’était arrêté…et aujourd’hui, nous devons le rattraper en quelques semaines, en quelques mois, en quelques années… Chacun devra mesurer ce rattrapage, non pas à l’aune de sa seule ambition, mais à celle de tous et de toutes, à celle de ce pays qui se relève d’une grande et longue commotion… Ce n’est pas aussi simple. Tout le monde est pressé, et entre le syndrome de Stockholm et la course au scrutin, on n'est pas sorti de l'auberge dictatoriale... 


Toutes les dictatures commencent avec la peur et recommencent avec le silence...


Ce qui est étrange, c'est ce sentiment d'exil qui persiste. Après, ou avec, les septnovembristes, arrivent les salafistes. Du coup, j'ai toujours l'impression d'assister à un mauvais débat télévisé. Que veulent inoculer les islamistes tunisiens aux musulmans tunisiens? Il semble que les premiers veuillent convertir les seconds, à quoi? A un nouvel ordre islamique mélangé à toutes les sauces, mondialement cuisinées sur les feux de braise du conflit israëlo-palestinien. من أنتم؟


L'heure est aux emblèmes et aux fétiches. L'heure est aux milices. Mais ce carnaval n'est pas du tout exotique. Les Américains ont du certainement le remarquer, eux qui donnent tout aux indigènes de chaque république...


Je vois qu'il y a retour de plusieurs boomerangs à la fois, et il me semble que les jeunes de la révolution ne les voit pas tous venir. Auréolée de sa toute-puissance révolutionnaire, cette jeunesse, qui a fait la révolution et continue à la faire, veut rompre le cordon. Pour ma part, je les comprend, c'était trop incestueux! Certains de ses aînés ont pourtant ouvert des ruisseaux dans la grande rivière de notre devenir. Qu’ils soient politiciens, intellectuels, syndicalistes, journalistes ou citoyens, ces anciens ont combattu le monstre, par un acte, une parole, un silence. Il y a eu des silences précieux. Il y a eu les eaux claires et les eaux troubles… 


Notre reconnaissance doit accueillir les résistants d'hier et d'aujourd'hui, car L'oppression a le même visage hideux, quelques soient les époques.  Ne nous aveuglons pas sur le passé. Ne nous méprenons pas sur l’avenir. Nous devons beaucoup travailler, beaucoup nous remémorer, beaucoup nous projeter. Redevenir humains, puis vivre ensemble. Mais moi je dis que peut être la transmission qui a eu lieu, des aînés vers les jeunes, doit se faire désormais en sens inverse, des jeunes vers leurs aînés.



Un grand chambardement que la révolution..

Enfin, je veux finir sur cette belle image, relevée par Raja Ben Slama, de la femme tunisienne portée sur les épaules, pendant la grande manif du 14 janvier. Cette image serait une exception de la révolution tunisienne. En tous cas, une image qui dit plus que ne le laisse entendre ce qui pèse, aujourd’hui, sur nos têtes, comme une épée, qu'on ne finit pas de brandir… Cette élévation dit que la Tunisienne a franchi des sphères importantes qui la projettent vers le haut et non vers le bas. Sortie de son cocon, la larve s'envolera papillon, malgré tous les tsunami... Sortir de sa peau n'est pas sacrilège, quand cette peau nous devient étroite. N'est-ce pas Mahmoud Darwich?

Il y a plein de papillons qui vont s’envoler loin, très loin, en se souvenant qu'autrefois, ils étaient des larves enfermées dans des cocons... 
« La trace du papillon est invisible. La trace du papillon ne s'efface pas ».


NB: Je ne sais pas exactement à qui appartiennent les photos que j'ai mises sur mon blog, si quelqu'un le sait, qu'il me le dise svp afin que je puisse citer les auteurs de ces magnifiques photos.