« Les grands tournants de
la politique internationale répondent à des mutations du regard que la raison
globale d'une époque porte sur son temps et dont les Etats ne sont jamais que
des médiateurs sourds et tardifs », écrit le philosophe Manuel de Diéguez.
Mise à l’épreuve de l’actualité, cette
affirmation pertinente nous décille sur les «métamorphoses soudaines des
rétines» qui travaillent le silence des nations dominantes. A cet égard, le silence avec lequel fut accueillie
l’information officielle de l’assassinat de Abou Jihad, n’a d’égal que la fureur qui anime les
« enregistreurs de l'histoire universelle ».
L’opération contre Abou Jihad, de
son vrai nom Khalil al-Wazir, a été menée, dans la nuit du 15 au 16 avril 1988,
à Tunis, par 26 membres des commandos de l'état-major, l'unité la plus
prestigieuse de l'armée israelienne, alors dirigés par Moshé Yaalon, actuel
ministre des Affaires stratégiques, sous le commandement de son adjoint, Nahoum
Lev. Celui-ci serait mort dans un accident de moto en 2000, selon le Yediot Aharonot auquel il avait accordé une interview où il donne les détails de l’assassinat.
Mais c’est le numéro 2 du
gouvernement israélien, qui a tiré la dernière balle sur Abou Jihad, pour
s’assurer de sa mort. Moshé Yaalon, ministre des Affaires stratégiques et
suppléant de Benyamin Netanyahu, s’est introduit dans la chambre, où Abou Jidah
a été assassiné, et l’a criblé de balles en rafales, et puis il lui a tiré une
balle unique pour s’assurer de sa mort.
Des modalités meurtrières à la
mesure de l’horreur qui légitime cet Etat-voyou imbu de ses holocaustes réels
et imaginaires.
Repris par le Sunday Times, le
journal israélien Yediot Aharonot indique avoir été autorisé à publier les
détails de l’opération visant l’assassinat de Abou Jihad, à la suite de six
mois de négociations avec la censure militaire. On peut aisément imaginer ce
que la censure a gardé pour dissimuler les traîtres. Donc voilà
que douze ans après, l’interview paraît en pleine élections américaines,
confirmant, non seulement la préméditation israélienne, mais aussi que les
assassins font partie du gouvernement. Et cela ne fait ciller nul juge au
Conseil de sécurité de l’ONU ou à la Cour pénale internationale. Et pour cause,
ces révélations tardives ne sont, encore une fois, que le défi avec lequel Israël
nargue le droit international qu’elle outrepasse à sa guise.
Abou-Jihad-et-Yasser-Arafat-graffiti à Gaz |
Numéro deux du mouvement Fatah
et de l’OLP, Abou Jihad était responsable des opérations militaires et
organisationnelles de la Cisjordanie et Gaza. Son élimination visait à
décapiter la première Intifada palestinienne, qui avait éclaté en décembre
1987, dont il était un des dirigeants.
Malgré la mort d'Abou Jihad, l'Intifada se poursuivit jusqu'aux accords
d'Oslo de 1993, qui ouvrirent la voie à la création de l'Autorité palestinienne
en 1994, présidée par son compagnon d'armes et chef de l'OLP, Yasser Arafa,
mort lui aussi dans des circonstances suspectes.
En effet, la thèse d'un
empoisonnement du dirigeant palestinien a regagné du crédit après des révélations
sur la présence de quantités anormales de polonium sur ses effets personnels. Et
une autopsie de sa dépouille va enfin être pratiquée après l’accord de sa veuve
et du Président Mahmoud Abbas. La suspicion n’aura ainsi servi qu’à entretenir
ce qui est, en fait, inhérent à la mythologie sioniste d’auto-défense contre
une menace toujours imminente. Cette attitude, Shlomo Sand l’évoque et la
résume dans cette expression en hébreu : « on tire, on
pleure ».
C’est dans ce même ordre
mythique, il y a quelques temps, Benjamin Netanyahu, Le Premier ministre
israélien, avait envoyé à Barack Obama une édition du Livre d'Esther (texte
hébraïque de l'ancien testament) dans le but de le convaincre qu’un véritable
"antisémitisme perse" était entrain de gronder du côté de l’Iran et
qu’il fallait y parer. Bien après l’élimination de Abou Jihad et de Arafat,
Israël doit encore se défendre et à n'importe quel prix, car selon la parabole
d’Esther, l'holocauste est toujours présent.
Cependant, une fois les
élections américaines achevées, on a pu lire dans le
principal quotidien israélien de gauche, Haaretz, un article au titre plus
qu’évocateur : « So sorry, President Obama, please forgive
Netanyahu ». (Nous sommes vraiment désolés Président Obama, s’il vous
plait pardonnez à Netanyahu !). En voici quelques extraits :
"... Et pourtant, en dépit de Netanyahu et son gang, vous avez démontré
votre amitié pour nous. Aucun président américain avant vous ne nous a jamais
comblé de tant de ce qui était bon et nécessaire. Dans une démonstration
aggravante de l'ingratitude, vous avez été représenté ici comme un ennemi.
Israël est le seul pays au monde qui a préféré votre rival sur vous. Parce
qu'en Israël, ils ne savent pas comment dire merci, parce qu'Israël n'est jamais
satisfait- vous lui donnez un doigt de soutien dans un environnement hostile,
et il voudra toujours toute la main. C'est une caractéristique laide nationale,
ce qui nous oblige à présenter des excuses ... Monsieur le Président, vous
devez continuer ce que vous avez essayé de faire au début de votre mandat. Vous
n'aviez pas réussi alors, mais maintenant, nous vous disons: Finissez le. Pour
notre bien, finissez-le » !
Esther devant Assuerus; de Giovanni Andrea Sirani |
Dans « La Parabole
d’Esther : Anatomie du Peuple Élu », l’écrivain et jazzman juif Gilad
Atzmon écrit : « Nous devons aussi nous demander à quoi servent, au
juste, les lois sanctionnant le négationnisme de l’Holocauste ? Qu’entend
cacher la religion de l’Holocauste ? Tant que nous ne nous poserons pas de
questions, nous serons assujettis aux sionistes et à leurs complots. Nous
continuerons à tuer au nom de la souffrance juive ».
Ce que Atzmon veut dire en
définitive dans ce livre polémique, tout comme le proclament Noam Chomsky et
Arno Mayer également de confession juive, est que le négationnisme doit être
battu sur le terrain scientifique et non juridique ou idéologique et religieux.
Tout aussi important dans ce livre, la démystification de l’« argumentaire
colonial » qui a été populaire durant un certain temps, parce qu’il exonérait
les juifs (en tant que peuple) des crimes perpétrés par Israël, mais aussi
parce qu’il comportait une promesse : tôt ou tard, l’« État colon israélien »
grandirait, sortirait de son cauchemar colonial, et la paix pourrait
éventuellement l’emporter ».
En mimant cette même souffrance,
placée sur le terrain du religieux-idéologique, certains font haro aujourd’hui
sur l’islamophobie, de sorte que les hallucinations théologiques prolifèrent ici
et là comme des herbes folles.
Et il semble que l’histoire
messianisée de la planète n’a pas fini de secouer les fauteuils des démocraties
naissantes en prônant le modèle qu’incarne une élite « élue » au-delà de tout
suffrage. C’est encore cela le syndrome d’Esther…
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