Déjà prix Goncourt en 1993 pour Le Rocher de Tanios, Amin Maalouf entre à l’Académie française. Elu le 23 juin 2011 par ses pairs, le nouvel immortel succède ainsi à Claude Lévi-Strauss au fauteuil 29, dans la prestigieuse institution chargée de veiller sur la langue française, où l’écrivain franco-libanais entre « en faisant résonner son accent ». « Après les roulements de tambours, les roulements de langue ! », dira-t-il, dans un magnifique discours prononcé le 14 juin dernier, sous la Coupole.
En octobre 2011, lors des Etats généraux de la promotion du français dans le monde, qui se sont tenus à Paris, nous avons rencontré Amin Maalouf et l’avons questionné sur les bouleversements qui traversent le monde arabe. Pour lui, l’étincelle qui s’est transmise entre les mondes est « quelque chose de très sain » qui dit encore que « les valeurs essentielles sont communes à toutes les civilisations ».
CDT : - Comment avez-vous perçu les bouleversements qui traversent le monde arabe ?
Amin Maalouf : + Je trouve que ce qui est arrivé en 2011, et même depuis décembre 2010, est fascinant. J’ai vécu tous ces évènements avec bonheur, je dirais même souvent avec fierté. Bien entendu, nous avons dépassé aujourd’hui la période de l’enthousiasme initial, et là nous sommes forcément dans la période longue, difficile, délicate de la transition. Et cette période va être décisive pour déterminer l’avenir pour tous les pays qui ont connu ces changements. Est-ce qu’on va aller vers la construction de sociétés modernes, démocratiques, développées, qui vont satisfaire tous les besoins matériels et autres de la population, ou bien est-ce qu’on va avoir une transition prolongée, difficile, pénible, parfois violente. A l’heure où nous parlons, c’est difficile de dire ce que va être cet avenir, mais j’observeArais tous ces changements avec intérêts et avec préoccupation.
CDT : - Les écrivains ont toujours eu cet instinct formidable pour nous prévenir de ce qui va advenir comme vous l’avez fait Mr Amin Maalouf.
AM : + Peut être bien parce que les écrivains ont une sensibilité à fleur de peau, et aussi probablement parce qu’ils sont préoccupés par ce qui arrive sans être impliqués directement dans l’action politique, ils peuvent sentir venir des événements. Pour être honnête, je n’ai pas prévu tout ce qui allait arriver, j’ai eu une divine surprise, je l’ai certainement souhaité. J’ai écris dans mon dernier livre que le plus grave problème dans le monde d’aujourd’hui était le manque de légitimité des dirigeants du monde arabe, et je pense que ça a éclaté au grand jour pendant cette année. J’espère profondément qu’on va construire quelque chose de plus avancé, de plus stable, de plus satisfaisant pour toute la population. Il y a eu une lune de miel entre le monde arabe et l’occident, toutes ces manifestations se sont déroulées sans slogans hostiles à l’occident et je trouve que c’est quelque chose d’extrêmement encourageant et d’extrêmement sain. C’est trop tôt pour dire si c’est un phénomène durable ou passager. J’espère qu’il sera durable, qu’on pourra construire une nouvelle relation, avec la bonne volonté des deux côtés. Mais on est encore dans une période de tumulte et l’historien amateur que je suis n’ose pas encore se prononcer. Je dirais plus que j’ai des espoirs, des attentes, que des certitudes.
CDT : - Que sera la Francophonie dans ce contexte inédit pour nous tous ?
AM : Je pense qu’une Francophonie bien comprise, une Francophonie qui se perçoive comme étant l’avant-garde d’un combat pour la diversité culturelle et linguistique dans le monde, une Francophonie qui se perçoit comme alliée des langues voisines et des langues partenaires, et notamment de l’arabe, a un grand rôle à jouer dans l’évolution de la Méditerranée. Il me semble, et vous devez le savoir beaucoup mieux que moi, que le mot-clé qui a déclenché beaucoup de choses en Tunisie est un mot français, qui était « dégage », et après on l’a traduit dans divers pays de diverses manières. Je me souviens même que les premières manifestations égyptiennes avaient repris le mot lancé à Tunis qui était « dégage », et après, on l’a traduit en «ارحل », et puis, ça s’est répandu. Mais je vois ce mot un peu comme une étincelle, il y a quelque chose qui s’est transmis entre ces mondes et que c’est très sain, parce que je pense que les idées doivent circuler, que les valeurs essentielles sont communes à toutes les civilisations.
*Interview que j'ai publiée dans "Le courrier de Tunisie" n°37
et diffusée dans "Café noir" sur RTCI, le 20/6/2012
et diffusée dans "Café noir" sur RTCI, le 20/6/2012
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