Avec le vent de liberté
qui a soufflé sur nos contrées, l’université a été prompte à restaurer son aura
perdue. Mais la tâche s’avère laborieuse, du fait même de l’ampleur des dégâts
causés par les dévoiements d’un système, qui s’est employé à réduire
l’autonomie de l’institution comme une peau de chagrin. Il n’est donc pas
étonnant que la question des libertés académiques se retrouve au cœur du combat
contre les forces d’oppression sociales et politiques, toujours en présence.
Si les pratiques de
l’université tunisienne ont toujours été tributaires de ses relations avec un
Etat autoritaire et centralisateur, voire tyrannique, ses capacités à juguler
les crises semblent être déterminées, désormais, par une autre crise, celle
d’une société en proie à un profond bouleversement culturel. Ainsi, d’aucuns
estiment que les revendications salafistes, hyper-médiatisées avec « l’affaire
du niqab », ne relèvent pas seulement d’un rapport de force politique, mais
influent aussi, fatalement, sur la vocation intellectuelle et pédagogique des
enseignants. Voilà donc que pour défendre l’accès aux cours et aux examens
d’étudiantes intégralement voilées, des étudiants prêchent violemment leur
droit à la différence, disent-ils.
Cela peut paraître
paradoxal que la liberté d’expression s’exerce de cette façon, pour le moins
anachronique, dans un lieu hautement symbolique de cette même liberté dont la
sacralité n’est plus à prouver, depuis que l’école publique a réussi le pari de
l’égalité des chances dans l’accès au savoir. Même si, comme l’a prouvé
Bourdieu dans, « La reproduction », la «démocratisation» de l’enseignement
finit par exercer une pression telle sur le système scolaire, qu’elle le met
souvent en état de crise. Cette pression qui s’exprime à travers la violence
symbolique et la violence physique prouve bien en tous cas que l’enseignement
public et laïc est aujourd’hui, chez nous, plus que jamais en crise.
Tout récemment, la
première journée d’étude de l’association pour la préservation de l’école
publique (APEP) laissait clairement entendre l’urgence qu’il y avait à tenir
des Etats généraux de l’enseignement. Longtemps occultée par les autorités de
tutelle, la fragilisation de l’école publique semble avoir ébranlé, à son tour,
« l’autorité pédagogique » et la gestion du conflit en milieu éducatif. Plus
grave encore, « l’autorité de langage » de l’enseignant n’est plus efficiente,
brouillant du coup les modalités de transmission du capital culturel. Tout cela
est d’autant plus visible dans la sphère universitaire, quand on voit la parole
du professeur confronter la parole du prédicateur, le discours scientifique
buter contre le discours religieux, celui-ci détrônant l’autre et imposant sa
propre sacralité, annulant du coup la responsabilité qu’impliquent les libertés
académiques et pour le professeur et pour l’étudiant.
Les libertés
académiques se définissant essentiellement par les responsabilités qu’elles
incluent, celles d’initier à l’interrogation, à la discussion et au doute,
érigeant ainsi la raison critique comme un rempart infaillible contre
l’obscurantisme de la doctrine, qu’elle soit d’ordre humain ou d’ordre divin. Alors
que l’illumination du prédicateur se légitime d’un tout autre ordre, culturel
précisément, où l’absence d’« un ordre dans les pensées » signale la rupture
flagrante entre la société et l’université. Dans « Pourquoi des professeurs? »,
George Gusdorf affirme que «la fonction enseignante a pour mission de maintenir
et de promouvoir cet ordre dans les pensées, aussi nécessaire que l’ordre dans
la rue et dans les provinces».
Faut-il alors introduire à l’école, un enseignement des monothéismes, comme l’avait recommandé Mohamed Arkoun, pour remédier à la fureur irrationnelle qu’exerce sur les esprits les prédicateurs de tous bords ? Le sacré n’étant plus ce qu’il était, il faudra sans doute déjà démêler l’imbroglio du politique et du divin, sans quoi la mission du professeur serait impossible, si elle ne l’est déjà.
Illustration: "Birds" de Nicoletta Ceccoli
*Ce texte a été initialement publié dans le n° 3 du magazine AKADEMIA
https://www.facebook.com/pages/Akademia-%D8%A3%D9%83%D8%A7%D8%AF%D9%8A%D9%85%D9%8A%D8%A7/333026173388621
*Ce texte a été initialement publié dans le n° 3 du magazine AKADEMIA
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2 commentaires:
Merci pour cette belle mise au point, concise et on ne peut claire.
Merci pour le commentaire professeur. Et je me rends compte après coup que la rupture n'intervient pas seulement entre la société et l'université, mais aussi et plutôt entre la société, la culture et la l'université.
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