Je m’étonne de l’étonnement de certains, mes amis compris, qui se demandent pourquoi le juge Farhat Rajhi, alias Mr.Propre, s’est risqué à faire une confession aussi lourde de conséquences, non pas à un journaliste professionnel, classique s'entend, mais à Hamdi Ben Salah, un journaliste blogueur tunisien, qui, par-dessus le marché aurait filmé l’entretien pour le diffuser sur Facebook ! Ce qui m’étonne, c’est que les gens ont la mémoire de plus en courte, de façon à zapper, par exemple, le fait que la presse, est, hélas, un secteur tellement sinistré, qu'il paraît impensable que l'ex ministre de l'intérieur donne ces mêmes révélations explosives à quelqu’un du métier. Je fais partie de ce métier et je peux vous dire que nous, journaleux, n’inspirons pas beaucoup confiance, encore moins en ce moment ! Ca fait mal de le dire, mais c’est la réalité…Tiens, j’ai même imaginé que ça aurait pu me tomber dessus, un hasard inattendu m'aurait permis de recueillir cette précieuse confession de l'iconoclaste ministre de l’intérieur! Cela m’aurait excité et effrayé à la fois, sachant qu’aucun journal n’aurait osé me publier, vu la gravité des propos rapportés, encore moins une télévision, qui n'aurait pas eu à rectifier le tir! J'aurais peut être alors jeté cette bombe par écrit, moi aussi sur Facebook, mais en protégeant ma source, m'exposant du coup moi même aux pires dangers. Il y a donc problème, le premier, c'est qu'à force de ne plus avoir confiance, on ne peut faire la part de l’info et de l’intox, si la source n’est pas confirmée ! Le second, c'est qu'en attendant que des lois soient promulguées sur le code de la presse, le journaliste n’est pas encore protégé et ne peut donc tenir sa source secrète sans se discréditer. Et en attendant, les médias sociaux continuent à sévir, selon « les éthiques» des usagers, en majorité anonymes. Qu’il y ait les partis politiques derrière ces usagers, cela aussi est un exercice de décryptage du politique. En tous cas, la liberté d'expression n'est plus ce qu'elle était, c'est certain, comme la politique d'ailleurs. Vu la situation, quel devoir de réserve peut-il encore tenir la route? Rappelons que le "devoir de réserve", ou "obligation de discrétion", désigne les restrictions de liberté d'expression que peuvent avoir les militaires et certains agents de la fonction publique, notamment les magistrats, les policiers, certains hauts fonctionnaires... Dans certains cas, pour certains, ces restrictions peuvent être assouplies ..Autre secteur sinistré, celui de la magistrature, que Mr. Rajhi évoque d’ailleurs, dans sa confession. Peu ont relevé que, malgré l’extrême naïveté de Mr. Propre, ces propos, aussi irresponsables soient-ils, pointent la défaillance de la justice, seule garante de l’issue des élections à venir. D’ailleurs, illico presto, la répression des manifs de cet après-midi est venue confirmer cette crainte : encore des flics en civil avec des matraques et qui s’acharnent contre les étudiants, les journalistes…. Je zappe, quant à moi, les débats télévisés qui ont répercuté les retombées de la confession nocturne de Mr. Rajhi. Les médias ont ainsi raté l’occasion de donner une petite leçon d’éthique politique, ce qui aurait été un exercice très utile de transition démocratique, et du même coup une performance d’éthique journalistique. Pour couronner le tout, ni le chargé de com du GVT, ni Mr. Rajhi lui, ni son principal détracteur, Mr. Kamel Letaief, n’ont vraiment démenti les révélations explosives de la veille, pendant qu’à Sfax, aujourd’hui, encore une prison prend feu et des prisonniers s’en échappent… Aussi naïf que puisse être notre Mr. Propre national, tout cela paraît bien inquiétant, en l'absence d'un minimum de transparence...
Il me semble pourtant que l'essentiel de ces propos ravageurs ont du bon, si on les décode dans le bon sens, celui que je relève, pour ma part, est le suivant: La presse, la justice, la police, voilà le talon d’Achille d’une situation de transition, qui ne peut compter, dans le court et peut être aussi le moyen terme, sur le fonctionnement normal de ces institutions. Si le processus de divulgation de la vérité, nécessaire à toute reconstruction post-dictature, est bloqué, les solutions iconoclastes s’avèrent comme un recours légitime : celle de Rajhi en est une. Car il y a d’un côté la réconciliation individuelle, et de l’autre, la réconciliation nationale et politique. Au vu des événements récents, celle-ci me semble plus complexe et difficile que la première. Mais si nous ne le faisons pas au plus vite, les pages les plus sombres de notre passé douloureux et particulièrement violent, risquent de devenir les pages de notre présent et de notre futur… Espérons de tout coeur que non !
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