Pline l’Ancien
C’est sans doute au nom de la nature que l'homme élabora le premier récit établissant sa conscience du monde. L'idée même de narration serait ainsi née, dans une société de chasseurs, de l'expérience du déchiffrement des traces du gibier. Cette aptitude à lire, dans les traces muettes une série d’événements, place la métaphore au cœur de la lettre, en condensant le processus historique qui aboutit, au terme d'un laps de temps peut-être très long, à l'invention de l'écriture. C’est dans ce même ordre métaphorique que la tradition chinoise attribuait l'invention de l'écriture à un haut fonctionnaire qui observa les empreintes d'un oiseau sur la rive sablonneuse d'un fleuve. Avant l’Homo sapiens, il y aurait eu ainsi un Homo narrator, « homme des paroles » exprimant son extraordinaire faculté à tisser des récits et à les communiquer. Si parler le monde entraîne à le dessiner, l'écriture ne reproduit cependant pas la parole, mais la rend visible, à travers l'image ou l’idée qui la suggèrent. Et c’est encore mère Nature qui donne à l’homme ses premières pages d'écriture avec les tracés divinatoires qu’il accomplit dans le sable ou les messages qu’il déchiffre dans le ciel étoilé. Sans compter que les supports de l’écrit furent empruntés par les premiers scribes à l’environnement immédiat. Ainsi, si la pierre atteste des premiers signes d’écriture, c'est le bois qui serait le premier véritable support livresque. Les mots biblos et liber ont d'ailleurs pour premier sens écorce intérieure d'un arbre.
Pourtant, au regard de l’histoire de l’humanité, l’écriture est une invention récente. En effet, comme l’affirme Etiemble, si l’homme parle depuis environ 100 000 ans, il n’écrit que depuis un peu plus de 5 000 ans. De la trace au tracé, du dessin au pictogramme et de l’idéogramme à l’alpha, la traversée des signes accomplie par l’écriture porte la diversité et la mobilité des peuples qui l’ont façonné. Or, l’écriture n’est pas une invention universelle et certaines civilisations, comme les Celtes, ont pu s’en passer, ou l’adopter tardivement comme l’Inde. Inventée plusieurs fois et de manière indépendante, l’écriture est née en Basse-Mésopotamie vers 3300 av. J.-C., en Egypte presque en même temps, en Méso-Amérique, chez les Olmèques, entre 2000 et 1500 av. notre ère, et en Chine au milieu du IIe millénaire av. J.-C. C’est seulement à partir de la diffusion de l’alphabet phénicien (vers -1000) que les écritures entrent dans un système de filiation ininterrompue.
L’évolution de cet extraordinaire outil de savoir et de transmission réside aussi dans son insaisissable multiplicité. Et son histoire en Méditerranée se révèle comme l’infini bruissement des richesses trans-géographiques, humaines et culturelles de cette mer intérieure. Car nulle part ailleurs que sur ces rives, on ne rencontre autant d’écritures nourries aux civilisations qui s’y sont succédées. Déjà, il y a des millénaires, l’homme préhistorique a laissé de très beaux textes en images peintes sur les parois du Tassili, du Fezzan, ainsi que dans certaines régions de Tunisie méridionale et septentrionale : des scènes de chasse, de danse, de rencontres où se mêlent hommes, femmes et animaux comme les peintures pariétales de Aïn Khanfouss ou la scène pastorale récemment découverte sur la paroi d’une grotte à Ghomrassen. On y relève des symboles et des signes dont la signification n’est pas toujours aisée à établir. Or, l’histoire de l’écriture au Maghreb recouvre la majeure partie de l’histoire de l’alphabet, car avec l’arrivée des navires phéniciens, vers le IIème millénaire av. J.C., cette partie du monde reçut les expériences culturelles de l’Orient sémitique, et passa directement à l’écriture alphabétique.
La plus ancienne forme d’écriture pictographique apparaît, vers la seconde moitié du IVème millénaire avant J.C., en Mésopotamie. Dans les premières inscriptions sumériennes de cette écriture, dite « aide-mémoire » comme les entailles des premiers hommes, les pictogrammes renvoient à un objet ou à un être désigné. En combinant plusieurs pictogrammes, on pouvait exprimer une idée. Vers 2900 av. J.-C., les Sumériens prirent l’habitude, pour des raisons matérielles, d’utiliser des tablettes d’argile et des calames (roseaux taillés en pointe) pour écrire. Ces calames étaient taillés en biseau. Ensuite, on imprimait dans l’argile fraîche des empreintes qui prenaient la forme de coins et de lignes constituant des genres de clous qui devaient représenter les dessins primitifs. De là est née l’écriture cunéiforme, de cuneus, clou en latin.
Vers la même période, un processus analogue permet à l’Egypte d’atteindre le stade de l’écrit idéographique. Ces expériences se multiplient dans l’ensemble des pays aujourd’hui arabes et jadis sémitiques qui ont vu naître les écritures cunéiformes, hiéroglyphiques, puis alphabétiques.
Et c’est quelque mille cinq cents ans plus tard, que l’alphabet fait enfin son apparition à Ougarit, au nord de la côte syrienne, ainsi qu’en Palestine. À la différence de l’écriture idéographique qui permettait de transcrire soit des mots ou des syllabes et qui demandait la connaissance d’un grand nombre de signes pour pouvoir lire et écrire, cet alphabet fonctionne avec une trentaine de signes et permet de tout écrire. En 1050 av. J.C., les Phéniciens disposaient d’un alphabet de 22 lettres qui ne contenait que des consonnes. Constitué en majorité par des navigateurs et des marchands, les Phéniciens commerçaient avec tous les peuples du pourtour de la Méditerranée et eurent donc plus de facilité à répandre leur alphabet. Avec cette invention, débute le fabuleux destin d’un système de mémorisation universel qui va démocratiser le savoir et la transmission de la connaissance.
Pourtant, au regard de l’histoire de l’humanité, l’écriture est une invention récente. En effet, comme l’affirme Etiemble, si l’homme parle depuis environ 100 000 ans, il n’écrit que depuis un peu plus de 5 000 ans. De la trace au tracé, du dessin au pictogramme et de l’idéogramme à l’alpha, la traversée des signes accomplie par l’écriture porte la diversité et la mobilité des peuples qui l’ont façonné. Or, l’écriture n’est pas une invention universelle et certaines civilisations, comme les Celtes, ont pu s’en passer, ou l’adopter tardivement comme l’Inde. Inventée plusieurs fois et de manière indépendante, l’écriture est née en Basse-Mésopotamie vers 3300 av. J.-C., en Egypte presque en même temps, en Méso-Amérique, chez les Olmèques, entre 2000 et 1500 av. notre ère, et en Chine au milieu du IIe millénaire av. J.-C. C’est seulement à partir de la diffusion de l’alphabet phénicien (vers -1000) que les écritures entrent dans un système de filiation ininterrompue.
L’évolution de cet extraordinaire outil de savoir et de transmission réside aussi dans son insaisissable multiplicité. Et son histoire en Méditerranée se révèle comme l’infini bruissement des richesses trans-géographiques, humaines et culturelles de cette mer intérieure. Car nulle part ailleurs que sur ces rives, on ne rencontre autant d’écritures nourries aux civilisations qui s’y sont succédées. Déjà, il y a des millénaires, l’homme préhistorique a laissé de très beaux textes en images peintes sur les parois du Tassili, du Fezzan, ainsi que dans certaines régions de Tunisie méridionale et septentrionale : des scènes de chasse, de danse, de rencontres où se mêlent hommes, femmes et animaux comme les peintures pariétales de Aïn Khanfouss ou la scène pastorale récemment découverte sur la paroi d’une grotte à Ghomrassen. On y relève des symboles et des signes dont la signification n’est pas toujours aisée à établir. Or, l’histoire de l’écriture au Maghreb recouvre la majeure partie de l’histoire de l’alphabet, car avec l’arrivée des navires phéniciens, vers le IIème millénaire av. J.C., cette partie du monde reçut les expériences culturelles de l’Orient sémitique, et passa directement à l’écriture alphabétique.
La plus ancienne forme d’écriture pictographique apparaît, vers la seconde moitié du IVème millénaire avant J.C., en Mésopotamie. Dans les premières inscriptions sumériennes de cette écriture, dite « aide-mémoire » comme les entailles des premiers hommes, les pictogrammes renvoient à un objet ou à un être désigné. En combinant plusieurs pictogrammes, on pouvait exprimer une idée. Vers 2900 av. J.-C., les Sumériens prirent l’habitude, pour des raisons matérielles, d’utiliser des tablettes d’argile et des calames (roseaux taillés en pointe) pour écrire. Ces calames étaient taillés en biseau. Ensuite, on imprimait dans l’argile fraîche des empreintes qui prenaient la forme de coins et de lignes constituant des genres de clous qui devaient représenter les dessins primitifs. De là est née l’écriture cunéiforme, de cuneus, clou en latin.
Vers la même période, un processus analogue permet à l’Egypte d’atteindre le stade de l’écrit idéographique. Ces expériences se multiplient dans l’ensemble des pays aujourd’hui arabes et jadis sémitiques qui ont vu naître les écritures cunéiformes, hiéroglyphiques, puis alphabétiques.
Et c’est quelque mille cinq cents ans plus tard, que l’alphabet fait enfin son apparition à Ougarit, au nord de la côte syrienne, ainsi qu’en Palestine. À la différence de l’écriture idéographique qui permettait de transcrire soit des mots ou des syllabes et qui demandait la connaissance d’un grand nombre de signes pour pouvoir lire et écrire, cet alphabet fonctionne avec une trentaine de signes et permet de tout écrire. En 1050 av. J.C., les Phéniciens disposaient d’un alphabet de 22 lettres qui ne contenait que des consonnes. Constitué en majorité par des navigateurs et des marchands, les Phéniciens commerçaient avec tous les peuples du pourtour de la Méditerranée et eurent donc plus de facilité à répandre leur alphabet. Avec cette invention, débute le fabuleux destin d’un système de mémorisation universel qui va démocratiser le savoir et la transmission de la connaissance.
Ancêtre de presque tous les systèmes alphabétiques du monde, l’alphabet phénicien a permis la naissance de l’alphabet grec comme le relate l’histoire de Cadmos apportant l’alphabet aux Grecs. Mais, plus pragmatiques, ceux-ci ajoutent des voyelles pour rendre cet alphabet lisible. Car leur langue trop différente ne pouvait être écrite avec les alphabets déjà existants. En plus de nous laisser une des littératures les plus riches et les plus variées de tous les temps, les Grecs tracent les premières grandes lignes des alphabets du monde occidental tels que le latin, le cyrillique et l’étrusque.
Au fil de son histoire, l’arabe qui appartient au groupe des écritures sémitiques consonantiques, a été confronté comme le grec à la même aporie. C’est ainsi qu’on a du recourir à des signes diacritiques, et plus tard à des points pour indiquer les éléments du discours non représenté par des lettres.
(Photo: Fragments de la mer Morte)
Bibliographie
Stephan Jay Gould, “Social Agency and the Dynamics of Prehistoric Technology”, in Journal of Archaeological Method and Theory, 1994.
Ecritures en Méditerranée, ALIF 1988
L'écriture en Méditerranée, Abderrazak Bannour, Edisud, 2004
Le site internet de la Bnf, Bibliothèque Nationale de France
Archéologia - N° 167 La naissance de l'écriture
1 commentaire:
C'est mon premier passage dans votre blog, et je suis agréablement surprise par la qualité des textes.
A très bientôt :)
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