dimanche 7 octobre 2012

Plaidoyer pour la transparence

   L’association Touensa célébrait, le 28 septembre dernier, la Journée Internationale du Droit de Savoir, avec une table ronde consacrée à « Droit à l’accès à l’information : états des lieux, enjeux et défis ». Une occasion de revenir sur les avantages et les limites de la transparence dans des pays, comme la Tunisie, qui sont toujours enlisé dans la culture du secret.
    Quand on regarde de près, on réalise que notre rapport au droit et au savoir est entrain de changer, malgré les entraves administratives, politiques et mentales qui continuent à régir ce rapport.
Quelques mois après la révolution, le gouvernement tunisien provisoire avait adopté le décret-loi 41 du 26 mail 2011, relatif à l’accès aux documents administratifs. Ce décret engage le pays à construire une culture de transparence et d’ouverture des données. Mais déjà Article 19 relevait que « les exceptions au principe de divulgation sont rédigées de manière trop large et le décret ne contient pas de disposition établissant la primauté de l’intérêt public ».


    C’est ce que ne dément pas Mr. Mohamed Salah Ben Aissa, professeur de droit public et ancien doyen de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales, qui affirme que « les textes existent mais que l'application est défaillante » et que le modèle administratif tunisien est hérité du système napoléonien basé sur la hiérarchie et le secret. On sait par exemple que les archives et documents du ministère de l’intérieur sont encore classés « top secret ». De même, la loi régissant le passeport diplomatique n’est pas publiée dans le journal officiel. 
   Les associations l’ont compris, le droit d’accès à l’information n’est pas forcément favorable à la divulgation de l’information et qu’une sensibilisation du citoyen «était nécessaire. Tout récemment, l'association Nawaat, l'ONG Al Bawsala, ainsi que quatre citoyens membres du collectif OpenGov déposaient une plainte auprès du tribunal administratif à l'encontre de l'Assemblée Nationale Constituante, au motif de non respect de la transparence et de l'accès à l'information par l'ANC pourtant inscrits dans son règlement intérieur et stipulé dans le décret-loi 41. Les campagnes du groupe opengogtn témoignent de cette résistance au sein même des institutions les mieux placées pour mettre en œuvre le principe de bonne gouvernance. Après 7ell et 7ell2, est lancée la campagne « 7ell 3inik » (ouvre tes yeux), appuyée par un site participatif 7ell.tv, sur lequel les internautes sont invités à poster des vidéos et des photos, destinées aux députés de l'assemblée nationale constituante pour les «réveiller ».
  

Le bras-de-fer entre les médias et le pouvoir

   Du côté des médias, les décrets-lois 115 et 116, toujours pas appliqués, entachent cet idéal de bonne gouvernance et de transparence prôné par la Banque Mondiale. Les répercussions de cette absence de cadre légal ont exacerbé le climat malsain qui vicie le paysage médiatique. Avec le bras de fer imposé par le gouvernement, la tension monte chaque jour d’un cran. Mardi matin, Lotfi Touati, le directeur contesté de Dar Assabah, a agressé un autre journaliste. Se ramenant avec un huissier de justice, Touati a voulu prendre des photos des grévistes de la faim. Khemaies Hrizi, un technicien, a voulu l’en empêcher et c’est là que Touati l’a agressé. Déjà, en entamant une grève de la faim depuis hier, Monia Arfaoui, Nizar Dridi, Sabah Chebbi et le caricaturiste Hamdi Mezhoudi se sont vus annuler leurs contrats de travail. Le caricaturiste du journal Assabah est l’une des victimes de ce licenciement abusif.

   D’un autre côté, ce sont toujours les mêmes médias d'avant qui continuent à bénéficier de la plus grande part de la publicité publique, alors que les journaux de bonne facture parus après le 14 janvier 2011 se meurent lentement.  Et pour cause. Les critères adoptés pour la répartition de la publicité publique demeurent ceux adoptés par l'Agence Tunisienne de communication extérieure (ATCE). C’est ce que relevaient d’ores et déjà les directeurs de publication en septembre 2011, lors d’un atelier organisé par l’INRIC ( l'Instance Nationale pour la Réforme de l'Information et de la Communication). Celle-ci ayant décidé de s’auto-dissoudre, le 4 juillet dernier, suite à l’impossibilité de dialoguer avec le gouvernement, aucune solution n’est venu régler ce grave problème qui entrave l’évolution du secteur médiatique et sape l’information libre et crédible.

   Opaques, les critères adoptés par le Premier ministère ne sont pas équitables et reproduisent les anciennes pratiques de la tristement célèbre ATCE  (Agence tunisienne de communication extérieure), qui gérait la distribution des marchés publicitaires, fournis par des organismes publics, qui sont les principaux annonceurs, légitimant ainsi une forme de subvention que le régime accorde seulement aux journaux qui lui font allégeance. La dépendance de la majorité des journaux vis-à-vis de ces ressources publicitaires était un moyen efficace pour surveiller et maîtriser les lignes éditoriales. 

   Le retour aujourd’hui à cette pratique dictatoriale inquiète les professionnels qui pointent « les dangers de l'argent politique » et les risques du développement d'une presse jaune aux dépens d'une presse professionnelle ». Courrier de Tunisie est lui aussi menacé par ces partis pris politiciens.


*Paru dans "Courrier de Tunisie" de cette semaine.

Aucun commentaire: