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Dans son mot d’ouverture au Forum Mondial d’Istanbul, Recep Tayyip Erdogan, le premier ministre turc, a proposé de réformer l'Organisation des Nations unies, en raison notamment de l’incapacité de cette institution à régler le « drame humain » qui se joue en Syrie. Il n’est plus possible que « les cinq membres permanents du Conseil de sécurité déterminent les destinées du monde ». Car aujourd’hui, « les pays occidentaux ne constituent plus l'unique centre du monde. Le monde est devenu multipolaire et il continue à changer », a dit Erdogan.
Certains ont critiqué ces propos en rappelant justement que pour recentrer ou décentrer le monde, il faudrait précisément investir les périphéries, et que s’il y a des réformes à faire à l’ONU, c’est bien en "laissant à la Palestine le droit de faire partie du conseil de sécurité, de permettre à des pays comme le Brésil de devenir membre permanent, de faire en sorte qu’Israël et les USA soient condamnés comme les autres pour leurs exactions", par les juges d'une cour pénale internationale toujours en rodage.
Certains ont critiqué ces propos en rappelant justement que pour recentrer ou décentrer le monde, il faudrait précisément investir les périphéries, et que s’il y a des réformes à faire à l’ONU, c’est bien en "laissant à la Palestine le droit de faire partie du conseil de sécurité, de permettre à des pays comme le Brésil de devenir membre permanent, de faire en sorte qu’Israël et les USA soient condamnés comme les autres pour leurs exactions", par les juges d'une cour pénale internationale toujours en rodage.
Est-il d’ailleurs si étonnant que cette même organisation onusienne piétine sur la crise de la Syrie, alors qu’elle a géré en deux temps, deux mesures, l’affaire libyenne. Mais la Libye n’est pas dans l’axe iranien. Et pour Erdogan, même si l’exercice est périlleux, le jeu en vaut la chandelle.
Pendant que les
tensions montaient d’un cran entre son pays et la Syrie, Erdogan est allé en Iran
proposer un système de négociations à trois, un premier trio qui pourrait être
formé par la Turquie, l'Egypte et l'Iran, un deuxième formé par la Turquie, la
Russie et l'Iran, et enfin un troisième où il y aurait la Turquie, l'Egypte et
l'Arabie saoudite. L'Egypte ayant elle-même formé début septembre un
"quartet" sur la Syrie avec l'Iran, la Turquie et l'Arabie saoudite,
mais cette dernière ne s'est pas rendue à une réunion qui se tenait au Caire.
Dans cet imbroglio, une
chose est sûre : Allié loyal du président syrien Bachar al Assad, l’Iran
est incontournable pour trouver une approche consensuelle des quatre puissances
régionales sur la crise syrienne. Et Erdogan ne s’y est pas trompé en déclarant
soutenir la position de l'Iran sur le nucléaire, lors d'une rencontre avec le
président Mahmoud Ahmadinejad. Le temps que finisse la trêve, négociée par
Lakhdar Brahimi, le médiateur des Nations unies et de la Ligue arabe, pour
obtenir un cessez-le-feu en Syrie, lors de l’Aid el Kébir, après 19 mois de
combats sanglants, ce ballet diplomatique va continuer.
Or, la politique
étrangère d’Erdogan, entré dans les rangs de l’Otan, semble inquiéter au point
d’entamer sa popularité qui a explosé, au moment où il a dénoncé, haut et fort,
la politique d'Israël depuis son offensive à Gaza en décembre 2008. Les
nouvelles frontières qu’il veut « ouvrir à tous les peuples de la région
d’un nouveau Moyen-Orient », sont-elles dans la continuité de ce que
veulent les USA avec leur grand Moyen-Orient ? Idem en matière de
politique intérieure, où après ses remous avec la presse et l’armée, cet ancien
footballeur devenu maire d'Istanbul en 1994, a proposé d’abaisser l’âge légal
d’éligibilité des députés de 25 à 18 ans, assurant qu’il fallait "faire
confiance à la jeunesse". Une réforme rejetée par le Parti républicain du
peuple (CHP), mais soutenue par les députés du Parti d’action nationaliste
(MHP) ainsi que ceux du Parti de la paix et de la démocratie (BDP, pro-kurde).
Un nouvel ordre
confrérique ?
Certes, le parcours des
deux hommes semble coïncider. A la différence que l’ancien instituteur a choisi
de rester à l’arrière-plan politique, en tant que « morched », tout
en confrontant violemment le pouvoir en place, alors qu’Erdogan s’est décidé
très jeune à transcender le Refah (un des avatars des partis islamistes
successivement interdits en Turquie sous pression des militaires) pour devenir
le « sultan de la ville », après avoir été emprisonné pendant quatre
mois, en 1998, pour avoir récité, en campagne électorale, un poème jugé
subversif.
Durant son premier
mandat de premier ministre, riche en réformes qui rapprochent la Turquie de
l'Union européenne, Erdogan s’est démarqué du chauvinisme et du mépris des
minorités qui ont marqué le kémalisme. Ce qui lui valut les louanges des
intellectuels turcs libéraux, jusqu’au moment où les perspectives d'adhésion à
l’UE s'évanouirent.
Et bien qu’il s’affiche lui aussi comme islamiste modérés, démocrate et mondialiste, le leader d’Ennahdha
continue à s’opposer au camp laïc d’inspiration bourguibiste. Alors que
certains de ces laïcs ont espéré, avec la revanche des islamistes, que la
lumière soit faite sur les nombreux crimes et coups obscurs des années passées,
et cela autant en Turquie qu’en Tunisie.
De même que les médias,
ici et là, se sont (re) mis au pas de l'autocensure voire de l’allégeance. Et
tout récemment, la vidéo fuitée de Ghannouchi a démontré que la récupération de
la police et de l’armée est une condition essentielle pour achever le contrôle
des rets du pouvoir. De la même manière qu’en Turquie, l'infiltration de la
police par des membres de la puissante confrérie islamique modérée (dirigée des
Etats-Unis par Fethullah Gülen), coïncide avec l'effacement du rôle politique
de l'armée, ainsi qu’une influence accrue dans l'enseignement, l’industrie, les
finances et les médias.
La dignité et la justice prônées par les deux chefs, auprès des populations souffrantes, seront-elles possibles dans ce nouvel ordre confrérique ? Tant que de vieux partis sclérosés, qu’ils soient de gauche, de droite ou du centre, peu susceptibles de former une opposition renouvelée, et que les groupes laiques qui détiennent toujours une grande part du capital, se taisent ou se rallient sans hésiter, cette hypothèse est plus que probable. D’autant que la crise politique et économique de l'Occident risque de mener à l’acceptation, ici et là, d’une bipolarité harassante.
*Paru dans Courrier de Tunisie de cette semaine.
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