Prix Casa de Las Americas, août 2012
Je ne remercierai jamais assez l’Institut Cubain du Livre et
Casa de las Americas de m’avoir invité à venir présenter mon roman Requiem pour
Marie-Solitude dans des circonstances aussi prestigieuses.
Je ne remercierai jamais assez le Président Retamar, la
Vice-Présidente Yolanda Wood, ma sœur Nancy Morejon pour l’attention fidèle
qu’ils portent à mon œuvre et pour l’affectueuse amitié dont ils m’honorent.
Je ne remercierai jamais assez Lourdes qui s’est investie
avec passion et rigueur dans un travail de traduction dont nous voyons
aujourd’hui le brillant résultat.
Je ne remercierai jamais assez Cuba la fière qui s’est
battue et qui se bat encore pour que la justice sociale, l’émancipation de
l’homme et de la femme, la culture et les arts deviennent des acquis concrets
et des victoires quotidiennes.
Je dis cela avec toute l’émotion du jeune homme que j’étais
lors de mon premier séjour, à l’occasion des manifestations organisées pour
CARIFESTA.
Ebloui, j’admirais les phares qu’étaient Roberto Retamar,
Nicolas Guillen, Juan Bosch, Rex Nettleford, René Depestre, Alejo Carpentier,
Haydée Santa Maria et tant d’autres. J’ai même eu l’occasion, grâce à Edouard
Glissant, de me rendre à une invitation solennelle au Salon des ambassadeurs, à
Havana libre, où j’ai salué, tétanisé par cet honneur, Fidel Castro en
personne.
Je n’oublierai jamais mes premiers pas dans le bâtiment de
Casa de las Americas. Je ne savais pas encore qu’il y en aurait beaucoup d’autres
qui me conduiraient à d’exaltantes manifestations.
Le jeune homme s’est vu décerner, à deux reprises, le Prix
Casa de las Americas.
Le jeune homme a rendu visite à la veuve d’Alejo Carpentier.
Le jeune homme a participé à la Feria del libro.
Le jeune homme a participé, à Santiago, au Festival du feu.
Le jeune homme a été invité par la télévision cubaine à
commenter le retour des cendres de Che Guevara.
Le jeune homme a donné de nombreuses conférences à la
Havane.
Le jeune homme que j’étais a tissé des liens forts avec
Cuba. Liens qui me valent l’honneur de publier des articles ou des poèmes dans
la revue de Casa de las Americas et de d’être édité, ici à Cuba. C’est un
parcours qui prouve que j’ai toujours accompagné Cuba et que Cuba m’a toujours accompagné.
Et c’est en signe de gratitude, de respect et d’affection
que j’ai tenu à ce que Roberto Retamar soit invité à la 2ème Conférence des
Ecrivains de la Caraïbe, organisée en Guadeloupe, comme Président d’Honneur.
Roger Toumson et moi-même nous lui devions cela.
Me voilà aujourd’hui écrivain consacré, riche de tant
d’histoires et des plus belles amitiés.
La grande leçon que m’a enseigné Casa de las Americas est
que la Caraïbe existe avec ses peuples, ses cultures, ses tourments et ces
espérances. La grande leçon c’est que par-delà la diversité des situations
historiques et sociales, il existe une Caraïbe des Caraïbes et c’est l’âme
caribéenne. Nous l’avons appelée négritude. Nous l’avons appelée réalisme
merveilleux. Nous l’avons appelée antillanité, créolité, créolisation, et
Edouard Glissant, avant de nous quitter a légué l’expression de tout-monde.
Un des aspects du tout-monde c’est la mer. La mer dont les
racines sont sous-marine mais qui ressoude notre âme et unit nos destins. Et
c’est pourquoi aucun pays de la Caraïbe ne m’est étranger ou indifférent. Je
suis chez moi, avec moi, dans mes îles à cyclones, mes îles à volcans, mes îles
musiciennes. Je sais que la mer est notre conte commun que tisse chaque vague.
Je sais que nos histoires sont des histoires métisses et je porte dans mon
unique bagage l’imaginaire des îles de la Caraïbe. Imaginaire des souffrances
de l’esclavage. Imaginaire des révoltes et des révolutions. Imaginaire de nos
chemins aveuglés par le soleil. Imaginaire de nos aliénations si bien analysées
par Frantz Fanon. Imaginaire de nos luttes. Imaginaire de nos peuples
arc-en-ciel. Imaginaire de cette magnifique odyssée que chante la Caraïbe.
Et, s’il est dans la Caraïbe, des pays qui ont le plus donné
c’est Cuba et c’est Haïti.
Voilà pourquoi j’ai voulu écrire Requiem pour
Marie-Solitude. Voilà pourquoi je suis si fier que ce roman soit édité et
diffusé à Cuba. Tout comme j’ai une longue histoire cubaine. J’ai une longue
histoire haïtienne.
Haïti m’a été révélé par Aimé Césaire et par Alejo
Carpentier.
Haïti m’a été offert par Jacques Roumain, Jacques Stephen
Alexis, Frankétienne, Anthony Phelps, Lionel Trouillot, Gary Victor, Chauvet,
Lilas desquiron.
Haïti coule dans le sang de mon histoire.
J’entends son héroïsme premier. Je souffre de ces détresses
présentes et j’ai foi en son avenir.
Je n’ai jamais cru qu’Haïti était pauvre car la vraie
pauvreté est celle du cœur de l’homme.
Le colonialisme est une pauvreté. L’impérialisme est une pauvreté.
La soi-disant mondialisation est une pauvreté.
Comment veut-on me faire croire qu’un peuple qui peint, qui
danse, qui chante, qui cuisine, qui écrit, qui pense. Le tout avec un énorme
talent ! Comment veut-on me faire croire que c’est un peuple pauvre ?
Nous ne sommes pas des peuples pauvres. Nous sommes des
peuples contrariés, opprimés, dépouillés. Et ceux qui se croient riches
devraient avoir honte de leurs richesses.
Je le dis surtout pour les jeunes !
Les jeunes de mon pays, comme beaucoup de jeunes du monde,
sont bombardés par des images, matraqués par des sons, par des slogans
publicitaires, détournés par l’imaginaire de la consommation et sous l’effet de
ce conditionnement que ce sont là les racines de la vraie vie.
Mon but n’est pas de plaider pour la misère matérielle. Mon
but est de plaider pour l’équilibre, la modération et surtout l’humanité de
l’homme. Je crois que ni l’honneur, ni la dignité, ni le respect, ni
l’épanouissement ne s’achètent pas.
Voilà pourquoi j’ai écrit Requiem pour Marie-Solitude. Comme
une méditation sur Haïti et sur la Caraïbe.
On y voit une fille, Régina, kidnappée parce que ses
ravisseurs croient qu’elle vient d’une famille aisée. C’est une jeune
mulâtresse, fille d’un prêtre blanc qui s’est suicidée à sa naissance et d’une
beauté noire issue de la pauvreté : Marie-Solitude. Et bien sûr,
Marie-Solitude, bien que mariée, va livrer seule un combat sans fin pour faire
libérer sa fille. C’est à travers ce combat qu’elle revit l’histoire passée et
présente d’Haïti avec ses croyances, ses dominations et ses aspirations. Tout
cela selon une poétique caribéenne qui entrelace conte, récit, réminiscences
historiques.
Vous l’aurez deviné, Marie-Solitude incarne Haïti. Elle est
la métaphore d’Haïti.
A mon humble avis, la question raciale imposée par l’époque
de l’indépendance haïtienne a lourdement hypothéquée la révolution haïtienne en
engendrant plus tard le noirisme et Duvalier. Autant de considérations qui avec
l’éloge de la femme - qui, même écrasée, s’habille de courage et de dignité –
fondent ce roman.
Je vous laisse juge de son intérêt, de sa poétique et de son
écriture. Aussi tragique soit-il, je l’ai écrit avec un immense amour pour
Haïti c’es-à-dire pour nous-mêmes.
Je pense que la littérature est un des arts où l’être humain
met totalement en jeu sa condition d’homme parce qu’elle met en scène la parole
et parce qu’elle est éminemment sociale. C’est une contribution majeure et
totale qui a l’ambition d’interpréter ou de réinterpréter notre présence au
monde. Entre la littérature et l’homme il y a le réel et c’est parce qu’il y a
l’opacité du réel que nous avons besoin d’imaginaire. C’est pourquoi je ne
crois pas aux littératures limpides qui prétendent tout élucider parce que la
vie n’est pas élucidable. La littérature, selon moi, est une invitation à
dépasser les réponses toutes faites, à chercher sous le sens figé un autre sens
plus humain et plus libre.
Le Cahier d’un retour natal est imprévisible, Alejo
Carpentier est imprévisible, Jacques Stephen Alexis est imprévisible et
Saint-John Perse est imprévisible.
J’appelle imprévisible, la formulation, le souffle, ce qui
fait du mot une résonance, de la phrase une portée et de l’œuvre un
soulèvement. Je ne sais pas si j’ai atteint cet imprévisible. Je sais seulement
que l’Institut cubain du livre et Casa de las Americas ont donné l’hospitalité
à mon roman. Je souhaite que désormais j’appartienne aussi à la littérature
cubaine.
Ernest Pépin Prix Casa de las Americas
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