vendredi 21 septembre 2012

Politiques du mépris

    Ce qui est arrivé, dans les ambassades américaines et européennes, à cause d’un très mauvais film, qui de surcroit s’avère inexistant, est troublant et intolérable. A Tunis, il paraît que cela aurait pu être pire si le Président Marzouki n’avait pas envoyé sa garde en renforts. Et ce lundi, l’ambassadeur américain Jacob Walles rappelait au ministre tunisien des affaires étrangères, Rafik Abdessalem, le devoir des pays hôtes d’assurer la sécurité des missions diplomatiques, tel que le stipule la Convention de Vienne. Ce devoir ne fut pas honoré le 14 septembre dernier, et ce n’est pas le seul. Au-delà du politiquement incorrect, quel sens donner à ces graves défaillances sécuritaires qui se multiplient dans des pays où une fragile transition tente de prendre place ? Quelques réflexions ici et là nous semblent devoir être prises en compte pour essayer de comprendre ce qui est entrain de changer dans les mentalités, et suivant dans les rapports de forces.
La première réflexion consiste à déceler le paradoxe qu’il y a à autoriser, au nom de l’islam, l’expression violente des points de vue, tandis que d’un autre côté, au nom de ce même islam, la liberté d’expression et de création est interdite. En cela, les islamistes s’accordent parfaitement avec les dictatures « laïques » du monde arabe, en l’occurrence celle de Syrie, où de terribles massacres continuent à ne pas inquiéter les preux défenseurs de l’islam. C’est ce que constate Subhi Hadidi, dans sa dernière colonne d’Al-Quds Al-Arabi : « L’islam et la plus grande offense ». Autre paradoxe, reniant les lois civiles, les islamistes revendiquent en revanche une loi qui incrimine l’atteinte au sacré. Cheikh Rached Ghannouchi proposait, lui, tout récemment, que les Nations Unies promulguent une telle loi. Et Subhi Hadid de relever que les communautés musulmanes sont éparpillées, fragmentées et incapables de constituer des groupes de pression pour que l’occident promulgue une loi qui protège les sentiments des musulmans.
La seconde est émise par des jeunes sur les réseaux sociaux qui voient dans les terribles images du meurtre de l’ambassadeur américain à Benghazi, la contrepartie des horreurs commises à Abou Ghrib,  Guantanamo, en Irak, en Afghanistan… et dont les images sont venues redoubler et exacerber les politiques du mépris déjà exercées à l’intérieur par les dictatures du monde arabe.

La plus grande offense

Face au retour violent du sacré communautaire, l’intégrité des individus fait peu de cas dans l’ancien nouveau marché des totalitarismes, qui n’exclut ni le machisme ni la torture. Des jeunes violées et torturés à mort dans des postes de police, une jeune fille violée par des policiers, mais « trouvé dans une posture immorale avec son copain », justifie-t-on, la liste s’allonge de révolutions en contre-révolutions. Dans une lettre ouverte adressée le 14 septembre dernier au porte-parole du ministère de l’intérieur, l’association « Manifeste du 20 mars » dénonce « violences, humiliations, tortures et viols, passés et présents » et « exige des enquêtes »!
« Serait-ce la logique de la razzia, monsieur ? Celle qui ne respecte pas les « bonnes mœurs » de la tribu en deviendrait un butin à la disposition des hommes ?... De quelle morale et de quelle décence nous parlez-vous ? Celles des agressions, arrestations, tortures et humiliations subies par les protestataires, par les marginalisé(e)s de cette terre ??! … Nous ne cesserons de réclamer l’enquête sur les dépassements subis par les hommes et les femmes, toutes les violences, humiliations, tortures, viols commis en toute impunité, et dont les auteurs continuent à ce jour à menacer la sécurité des citoyens et des citoyennes et leur intégrité physique et morale », écrivent les animateurs de l’association.
Continuer donc à dénoncer la violence et sa banalisation, en se rappelant qu’une certaine Hannah Arendt qualifiait les mouvements totalitaires de « sociétés secrètes au grand jour » et définissait le totalitarisme, avant tout, comme un mouvement, une dynamique de destruction de la réalité et des structures sociales, plus qu’un régime fixe. Ce mouvement est « international dans son organisation, universel dans sa visée idéologique, planétaire dans ses aspirations politiques ». Car les livres, certains livres, servent fort heureusement à nous dire que l’ignorance sera toujours contre l’humain. 

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