lundi 5 novembre 2012

Revenons à nos moutons!

La dictature aurait-elle besoin encore et toujours de moutons pour perdurer ? C’est plus que probable, qu’ils soient enragés ou dociles, les moutons feront encore les beaux jours de la manipulation sous toutes ses formes. Autrement, et pour compléter la phrase d’Albert Einstein, il semble que « pour être un membre irréprochable parmi une communauté de moutons, il faut avant toute chose être soi-même un mouton », voire avoir soi-même un mouton.

C’est un curieux hasard que le rite du sacrifice ait profité, cette année, à un plus grand nombre grâce à l’importation de moutons roumains, vendus à la moitié du prix des moutons tunisiens. Il paraît que c’est l’homme d’affaires et ancien député, Chafik Jarraya, qui a arrangé ce coup. Après les singeries bannières, voici venu le temps des moutons-émissaires.

Ironie de la métaphore, c'est d'un pays encore empêtrée dans les rets de la dictature qu'on importe nos moutons du Grand Sacrifice! Et la métaphore ne s'arrête pas là!

La Roumanie, berceau de Dracula et patrie d'une dictature féroce durant l'ère communiste, s’est hissée ces trois dernières années, avec la montée du business moutonnier, de la 6e à la 3e place en Europe pour le nombre de moutons et de chèvres. Elle devance ainsi des pays à grande tradition, comme la France, l’Italie ou la Grèce, et arrive derrière l’Espagne et le Royaume Uni. Bien qu’ils préfèrent parfois, comme tous les moutons, oublier le passé, les Roumains tentent encore de clarifier ce passé, et leur travail de mémoire ne fait que commencer.

Photo de René Maltête (1930-2000), photographe français

En 2009, un rapport sur la dictature a été rédigé pour la première fois par des historiens indépendants de la commission Tismaneanu, qui avait formulé trente-six recommandations. Peu ont été appliquées à ce jour, car cela nécessite le vote du parlement. Le rapport préconisait par exemple l'édition d'un manuel de lycée sur le communisme, l'élaboration d'une encyclopédie du communisme roumain et l'ouverture d'un musée de la dictature. Autant de mesures toujours en attente.

L'Institut pour l'investigation des crimes du communisme en Roumanie (crée en 2005) est chargé d'identifier et faire condamner les responsables. Or, aucun responsable ou agent de la sécurité n'a été condamné. Un autre organe enquête sur le passé: le conseil National pour l'étude des Archives de la Securitate, instauré en 1999. Lui aussi rencontre de nombreux obstacles dans son travail. Le blocage principal vient des élites au pouvoir, disent les journalistes. Précisément, parce qu'après la chute du régime communiste, il n'y a pas eu d'épuration et que les structures et les comportements ont perduré. Aujourd'hui, d'anciens dignitaires du parti communiste occupent toujours des fonctions haut placées dans la justice, la politique, les médias ou l'éducation.

Qui l'eut cru, grâce aux moutons roumains, Pâques et l’Aid el-Kebir se rejoignent dans une sorte de communion inédite. 

Mais cette prospérité moutonnière, la Roumanie la doit à la régénération du métier de berger. Car n’est pas berger qui veut ! 


On se souvient de cette vieille paysanne du Nord-Ouest qui, à l’ère du zabatisme, déclarait au micro d’un journaliste, que les bergers se faisaient de plus en plus rares car ils partaient tous à Tunis pour se faire recruter dans la police !

     Depuis, le marché de la viande a rameuté les bergers et avec eux les textes sacrés se sont aiguisés comme les couteaux halal. Et il y a de ces bergers qui ne donneraient même pas un pan de leur vie pour leurs brebis!

« Je suis le bon pasteur, le vrai berger. Le vrai berger donne sa vie pour ses brebis. 12 Le berger mercenaire, lui, n'est pas le pasteur, car les brebis ne lui appartiennent pas : s'il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s'enfuit ; le loup s'en empare et les disperse. 13 Ce berger n'est qu'un mercenaire, et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui. 14 Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, 15 comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis. » (Evangile selon saint Jean)

     En islam, l’un des signes mineurs qui apparaîtront longtemps avant l'Heure Suprême, c’est quand « les bergers construiront des gratte-ciels ». Un hadith de sahih muslim mentionne la construction de maisons de plus en plus hautes et la concurrence des va-nu-pieds, des gueux, des miséreux et des bergers. 

    On croirait y être !


    Et d'ailleurs, comme les bergers, les dictateurs se présentent toujours comme des sauveurs. 


   Tout ça pour dire que l’expérience roumaine devrait nous donner à réfléchir sur cette mentalité moutonnière bien ancrée dans l’esprit des hommes. Il est évident que la dictature, régime de transition, est surtout une transition entre l'époque révolutionnaire qui a culbuté les institutions autoritaires et la réinstauration de ces mêmes institutions, plus ou moins camouflées. Comment l’expliquer à la majorité légitime ? Aux enfants, on dessinerait un cube en guise de mouton comme l’avait attendu Le Petit Prince, au lieu de les enfermer dans des logiques de terreur du sens.

     Pour en finir avec cette métaphore récurrente de la majorité silencieuse, portée par ds images panurgiques, il faudrait se mettre à lire.  

      Mario Vargas Llosa, auteur péruvien et espagnol, prix Nobel de littérature 2010 récompensé « pour sa cartographie des structures du pouvoir et ses images aiguisées de la résistance de l'individu, de sa révolte et de son échec », disait que « si nous ne voulons pas être une société de moutons domesticables et manipulables par toutes les formes de pouvoir, y compris celui de la science, il faut défendre la littérature. » 

   Maintenant, vous le savez, les moutons ne lisent pas.


Aucun commentaire: