samedi 17 novembre 2012

Le syndrome d’Esther



    « Les grands tournants de la politique internationale répondent à des mutations du regard que la raison globale d'une époque porte sur son temps et dont les Etats ne sont jamais que des médiateurs sourds et tardifs », écrit le philosophe Manuel de Diéguez.  Mise à l’épreuve de l’actualité, cette affirmation pertinente nous décille sur les «métamorphoses soudaines des rétines» qui travaillent le silence des nations dominantes.  A cet égard, le silence avec lequel fut accueillie l’information officielle de l’assassinat de Abou Jihad,  n’a d’égal que la fureur qui anime les « enregistreurs de l'histoire universelle ».

   L’opération contre Abou Jihad, de son vrai nom Khalil al-Wazir, a été menée, dans la nuit du 15 au 16 avril 1988, à Tunis, par 26 membres des commandos de l'état-major, l'unité la plus prestigieuse de l'armée israelienne, alors dirigés par Moshé Yaalon, actuel ministre des Affaires stratégiques, sous le commandement de son adjoint, Nahoum Lev. Celui-ci serait mort dans un accident de moto en 2000, selon le Yediot Aharonot auquel il avait accordé une interview où il donne les détails de l’assassinat.

   Mais c’est le numéro 2 du gouvernement israélien, qui a tiré la dernière balle sur Abou Jihad, pour s’assurer de sa mort. Moshé Yaalon, ministre des Affaires stratégiques et suppléant de Benyamin Netanyahu, s’est introduit dans la chambre, où Abou Jidah a été assassiné, et l’a criblé de balles en rafales, et puis il lui a tiré une balle unique pour s’assurer de sa mort.
Des modalités meurtrières à la mesure de l’horreur qui légitime cet Etat-voyou imbu de ses holocaustes réels et imaginaires.

  Repris par le Sunday Times, le journal israélien Yediot Aharonot indique avoir été autorisé à publier les détails de l’opération visant l’assassinat de Abou Jihad, à la suite de six mois de négociations avec la censure militaire. On peut aisément imaginer ce que la censure a gardé pour dissimuler les traîtres. Donc voilà que douze ans après, l’interview paraît en pleine élections américaines, confirmant, non seulement la préméditation israélienne, mais aussi que les assassins font partie du gouvernement. Et cela ne fait ciller nul juge au Conseil de sécurité de l’ONU ou à la Cour pénale internationale. Et pour cause, ces révélations tardives ne sont, encore une fois, que le défi avec lequel Israël nargue le droit international qu’elle outrepasse à sa guise.

Abou-Jihad-et-Yasser-Arafat-graffiti à Gaz

  Numéro deux du mouvement Fatah et de l’OLP, Abou Jihad était responsable des opérations militaires et organisationnelles de la Cisjordanie et Gaza. Son élimination visait à décapiter la première Intifada palestinienne, qui avait éclaté en décembre 1987, dont il était un des dirigeants.  Malgré la mort d'Abou Jihad, l'Intifada se poursuivit jusqu'aux accords d'Oslo de 1993, qui ouvrirent la voie à la création de l'Autorité palestinienne en 1994, présidée par son compagnon d'armes et chef de l'OLP, Yasser Arafa, mort lui aussi dans des circonstances suspectes.

  En effet, la thèse d'un empoisonnement du dirigeant palestinien a regagné du crédit après des révélations sur la présence de quantités anormales de polonium sur ses effets personnels. Et une autopsie de sa dépouille va enfin être pratiquée après l’accord de sa veuve et du Président Mahmoud Abbas. La suspicion n’aura ainsi servi qu’à entretenir ce qui est, en fait, inhérent à la mythologie sioniste d’auto-défense contre une menace toujours imminente. Cette attitude, Shlomo Sand l’évoque et la résume dans cette expression en hébreu : « on tire, on pleure ». 

  C’est dans ce même ordre mythique, il y a quelques temps, Benjamin Netanyahu, Le Premier ministre israélien, avait envoyé à Barack Obama une édition du Livre d'Esther (texte hébraïque de l'ancien testament) dans le but de le convaincre qu’un véritable "antisémitisme perse" était entrain de gronder du côté de l’Iran et qu’il fallait y parer. Bien après l’élimination de Abou Jihad et de Arafat, Israël doit encore se défendre et à n'importe quel prix, car selon la parabole d’Esther, l'holocauste est toujours présent.

   Cependant, une fois les élections américaines achevées, on a pu lire dans le principal quotidien israélien de gauche, Haaretz, un article au titre plus qu’évocateur : « So sorry, President Obama, please forgive Netanyahu ». (Nous sommes vraiment désolés Président Obama, s’il vous plait pardonnez à Netanyahu !). En voici quelques extraits : "... Et pourtant, en dépit de Netanyahu et son gang, vous avez démontré votre amitié pour nous. Aucun président américain avant vous ne nous a jamais comblé de tant de ce qui était bon et nécessaire. Dans une démonstration aggravante de l'ingratitude, vous avez été représenté ici comme un ennemi. Israël est le seul pays au monde qui a préféré votre rival sur vous. Parce qu'en Israël, ils ne savent pas comment dire merci, parce qu'Israël n'est jamais satisfait- vous lui donnez un doigt de soutien dans un environnement hostile, et il voudra toujours toute la main. C'est une caractéristique laide nationale, ce qui nous oblige à présenter des excuses ... Monsieur le Président, vous devez continuer ce que vous avez essayé de faire au début de votre mandat. Vous n'aviez pas réussi alors, mais maintenant, nous vous disons: Finissez le. Pour notre bien, finissez-le » !

Esther devant Assuerus; de Giovanni Andrea Sirani

   Dans « La Parabole d’Esther : Anatomie du Peuple Élu », l’écrivain et jazzman juif Gilad Atzmon écrit : « Nous devons aussi nous demander à quoi servent, au juste, les lois sanctionnant le négationnisme de l’Holocauste ? Qu’entend cacher la religion de l’Holocauste ? Tant que nous ne nous poserons pas de questions, nous serons assujettis aux sionistes et à leurs complots. Nous continuerons à tuer au nom de la souffrance juive ».

  Ce que Atzmon veut dire en définitive dans ce livre polémique, tout comme le proclament Noam Chomsky et Arno Mayer également de confession juive, est que le négationnisme doit être battu sur le terrain scientifique et non juridique ou idéologique et religieux. Tout aussi important dans ce livre, la démystification de l’« argumentaire colonial » qui a été populaire durant un certain temps, parce qu’il exonérait les juifs (en tant que peuple) des crimes perpétrés par Israël, mais aussi parce qu’il comportait une promesse : tôt ou tard, l’« État colon israélien » grandirait, sortirait de son cauchemar colonial, et la paix pourrait éventuellement l’emporter ».
En mimant cette même souffrance, placée sur le terrain du religieux-idéologique, certains font haro aujourd’hui sur l’islamophobie, de sorte que les hallucinations théologiques prolifèrent ici et là comme des herbes folles.
Et il semble que l’histoire messianisée de la planète n’a pas fini de secouer les fauteuils des démocraties naissantes en prônant le modèle qu’incarne une élite « élue » au-delà de tout suffrage. C’est encore cela le syndrome d’Esther…

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