dimanche 9 septembre 2012

« Klem Chere3 – Street poetry »: La poésie aussi est dans la rue *

Dans un élan spontané et passionné, Amine Gharbi et Majd Mastoura ont décidé de remettre la poésie dans la rue en invitant des jeunes à réciter des textes en arabe dialectal sur les places publiques.  

On le sait, le poète est un étrange animal qui devient ce qu’il est parce qu’il ne craint ni l’identité ni ses revers. Et quand l’espace de la poésie devient public, les histoires s’appellent, s’agrippent et s’aggravent comme la houle, comme la foule ou comme la musique. 


Klem Chere3, Place des droits de l'homme






   Le nom de la manifestation lui-même en dit long sur ce désir de mots qui veut marquer l’espace où se cherche et se joue le présent des gens et désormais l’histoire des Tunisiens : « Klem Chere3 - Street poetry », la rue n’étant plus ici l’antre des « mots voyous », comme l’entend la nuance du terme « klem chere3 » en dialectal tunisien, mais bien un territoire interdit qu’il faut inaugurer. Oui, l’espace public est bien une chasse-gardée autant que les mots qui y circulent. Bien que cette manifestation soit déclarée et placée sous l’égide du ministère de la culture, des policiers en civil sont venus s’enquérir avec Amine Gharbi de la nécessité ou pas de se rassembler dans des cercles !

    A Place Pasteur, lors de la 3éme rencontre, nous avons fait d’étonnantes découvertes en écoutant des textes lus de mémoire, écrits sur des feuilles ou archivés dans le téléphone portable comme ceux de Saber Zammouri, qui brode des allégories politiques à la manière d’Al Moukaffaa ou des poèmes d’amour comme les troubadours où les mots polissons sont des mots d’amour et de colère mêlés. Saber Zemmouri a fait des études de théâtre et travaille dans le cinéma. On peut lire sur sa page facebook des textes sur la ville, sur la république, sur le système ou ce qu’est « être gouverné ». Ainsi, « Être gouverné, c'est être gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé, légiféré, réglementé, parqué, endoctriné, prêché, contrôlé, estimé, apprécié, censuré, commandé, par des êtres qui n'ont ni titre, ni la science, ni la vertu... Être gouverné, c'est être à chaque transaction, à chaque mouvement, noté, enregistré, recensé, tarifé, timbré, toisé, coté... »
   
   La musique est aussi de la partie et on a pu écouter des compositions du groupe « Nouveau Système » comme cette chanson qui s’intitule « Les partis des cacahuètes ».
Mais il y a des poètes empêchés ou contrits comme ce jeune garçon de la Médina que Amine Gharbi a fini par convaincre d’entrer dans le cercle en venant raconter son quotidien avec des mots à lui. Il y a aussi des poètes timides comme Sonia Ben Saad, discrets comme Alaa Talbi, flamboyants comme Nadia Ben Salah, ou secrets comme Bent Trad. Les deux organisateurs sont eux-mêmes poètes. Parmi les textes de Majd Mastoura par exemple celui intitulé «Théâtre » qui commence ainsi :

« M… comment devenir Darwich
Comment devenir Fairouz ?
Je dois tout le temps le demander ?  Pourquoi tu ne me réponds pas ? »

   
   Mahmoud Darwich aurait répondu sans doute : « Un jour je serais ce que je veux… »

  Subtilement, l’idée fait son chemin et démêle les rébus de la révolte à mesure que se lève la parole. Le premier cercle formé à la place pasteur le 25 juillet dernier, continue à brasser d’autres cercles sur l’esplanade du palais Kheireddine au cœur de la Médina, place des droits de l’homme, à Menzel Abderrahmane, à Kélibia, et tout récemment à Sidi Bou Saïd.  Dans les régions, on réclame aussi des cercles de « Klem Chere3 ». Bientôt, des jeunes partout ouvriront des cercles, ressusciteront des jardins et des patios désertés et leurs mots libérés résonneront pour apaiser la géographie blessée. 
   
Ces rencontres poétiques commencent d’ailleurs à mieux s’organiser, et désormais, les orateurs doivent envoyer leurs textes aux organisateurs avant chaque rencontre. Il faudra sans doute aussi amener toujours un micro pour que tout le monde puisse entendre dans la rue, ces mots de la rue. Et peut-être qu’un jour, on pourra avoir une compilation de toutes ces paroles, à l’instar de l’anthologie poétique ouverte qui a été réalisée outre-Atlantique par des jeunes de « Occupy Wall street ».  

   A noter que, outre leur page facebook et leur compte twitter, les organisateurs de « Klem chere3 » ont crée une chaîne youtube où les vidéos de toutes les rencontres passées ont été archivées. 


*Article paru dans "Courrier de Tunisie" n°45.

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