jeudi 22 avril 2010

La prophétie n’aura pas lieu


Après « Digital Prophecy » et « Divine Shadows », Dhafer Youssef sort « Abou Nawas Rhapsody », une autre équipée jazzistique censée rendre hommage au poète le plus iconoclaste du monde arabe. Placés dans l’inconfortable “zone C”, réservée aux étudiants, les journalistes ont du se tenir debout pour pouvoir voir ce concert qui a drainé un nombreux public de fans, dont certains étaient déçus que les poèmes d’Abou Nawas aient manqué à la nouvelle rhapsodie de Dhafer Youssef. Heureux et surexcité, le chanteur et oudiste tunisien est arrivé sur scène entouré de trois musiciens talentueux : Mark Giuliana et sa batterie virtuose, Chris Jennings et sa basse swinguante, ainsi que l’époustouflant pianiste arménien Tigran Hamasyan. En traversant l'histoire du jazz, cette formule « trio acoustique plus un autre instrument » a donné lieu à de savoureuses variations dont Ahmad Jamal, Thelonious Monk et Abdullah Ibrahim sont parmi les plus brillants initiateurs. Mais la démarche de Dhafer Youssef nous évoque plutôt celle du magnifique Ahmad Abdul-Malik, méconnu aujourd’hui auprès des profanes, qui a porté, lui, ces variations aux confins de l’interculturel. En effet, ce contrebassiste américain, d’origine soudanaise, a introduit la zoukra, le oud et le qanûn dans ses compositions, déployant les territoires de la musique dans toute leur universelle singularité. Dhafer Youssef accomplit lui aussi ce déplacement, mais en remontant, à contrario, du Maghreb vers l’Europe, et en convoquant la batterie, la basse et le piano autour de sa voix et de son instrument, dans ce qui semble être la quête d’un centre idéal et incantatoire. Contrairement à ce qui est perçu par les spectateurs européens, le oud n’est point ici en retrait, mais s’allie à la voix et ses mélismes soufies pour à la fois dissiper et amplifier une transe aux couleurs funk-groove-rock. Ce nouvel album contient ainsi des odes au vin et à l’amour inspirées des poèmes bachiques d’Abu Nawas, mais dont Dhafer ne reprend que quelques phrases, voire quelques mots. Techniquement, la maîtrise des musiciens est parfaite et la voix de Youssef approfondit de plus en plus une expérience unique en son genre qui séduit en puisant dans cet étonnant soufisme électrique qui ne semble pas vouloir donner à tout prix dans le côté ethnique. Dommage que l’artiste en a rajouté un peu, en exhortant les spectateurs à prouver qu’ils étaient le meilleur public au monde, ce qui a donné lieu à des applaudissements et des manifestations bruyantes dignes d’un stade de foot. Enfin, artistiquement, le talent du trio est resté largement dominé par la performance de l’impressionnant Tigran Hamasyan qui, à des moments, jouait au piano comme on joue au oud. Ce très jeune pianiste de jazz arménien, qui compte déjà trois albums à son actif, nous a fait voyager très loin avec des performances où poésie et sensualité rassemblent naturellement les sonorités orientales et l’univers du jazz international.
Photo : Samy Snoussi

1 commentaire:

إنسان / Insane a dit…

Dhafer.... ya bay !

merci de ces billets ...

mes salutations les plus sincères, madame .